Entre 2011 et 2019, j’ai travaillé sur un doctorat interuniversitaire en histoire de l’art. Je place ici le brouillon de ma thèse. Vous pouvez consulter le plan complet du projet et une description de mon parcours. N’oubliez pas qu’il s’agit d’un brouillon.
4.2 Précision de la problématique
Au moment de sa création en 1860, l’AAM regroupe des personnes aux horizons divers désirant faire la promotion des beaux-arts auprès de la population montréalaise.
Au moment de la dernière « Loan Exhibition » de 1914, elle possède un imposant immeuble sur la rue Sherbrooke, des revenus annuels avoisinant 16 000 $ et des placements totalisant 70 000 $1. Elle regroupe 1533 membres2. Son organisation interne relève de plusieurs comités spécialisés sur les questions des acquisitions, de l’accrochage et des conférences. Elle possède son conservateur pour la collection permanente. L’artiste William Brymner enseigne la peinture et le dessin à quatre groupes distincts. Des cours complémentaires sont offerts par Alberta Cleland et Maurice Cullen. Des prix récompensent les meilleures œuvres. La salle de lecture est abonnée à des quotidiens artistiques de Londres, Paris, Leipzig, Chicago, New York, Syracuse et Toronto. Des catalogues et des rapports d’activité complètent la documentation disponible. Pour sa part, la bibliothèque s’enrichit annuellement d’une trentaine d’acquisitions et de plusieurs dons. Huit conférences ont été organisées durant l’année autour de sujets artistiques variés, allant du portrait en sculpture à la caricature dans la revue Punch. Enfin, quatre expositions temporaires ont occupé les salles en plus de la dernière « Loan Exhibition » et de l’exposition du Printemps.
Ce florilège des activités de l’AAM soutient l’idée selon laquelle elle vit un processus d’institutionnalisation entre 1860 et 1914. En ouvrant un premier espace permanent en 1879, en l’agrandissant en 1893 et en déménageant dans un nouvel immeuble en 1912, l’AAM s’inscrit d’une manière durable dans le paysage montréalais. Nous défendons l’idée que chacun de ces moments participe à ce processus.
Afin de comprendre l’histoire des « Loan Exhibitions », il devient nécessaire de suivre la transformation vécue par l’association à chacune de ces étapes. Introduites dans la problématique, les notions de proto-institution et de son institutionnalisation méritent d’être rappelées. Il s’agit d’un ensemble de nouvelles pratiques, règles et technologies qui dépasse le niveau de la relation interpersonnelle pour se diffuser durablement dans un milieu donné3. Le phénomène observé au sein de l’AAM s’accorde avec cette définition.
Or, seules certaines de ses activités paraissent s’institutionnaliser à chacun des agrandissements. Ainsi, durant toute la période étudiée, l’association demeure fidèle à sa mission éducative. Par contre, les moyens pour y parvenir vont se transformer.
Certains sont bien définis dès le départ. En conséquence, ils subissent peu de modifications. Le développement d’une collection permanente, l’offre de cours de dessin, l’organisation de conférences et la constitution d’une bibliothèque en sont les exemples les plus concrets. D’autres activités ne s’institutionnalisent pas à la manière de la loterie artistique.
Sur le plan des expositions, la question demeure ouverte. Il faut souligner l’ambiguïté initiale dans l’énoncé de la mission de l’AAM. Sa formulation demeure vague : « The establishment of an annual exhibition of works of art4. » Les seuls critères portent sur la périodicité annuelle et sur la présence d’oeuvres d’art. Elle ne précise ni s’il s’agit d’oeuvres d’art canadiennes, ni s’il s’agit d’oeuvres récentes. Elle ne définit même pas le concept d’oeuvre d’art. Ces questions devront être réglées au fur et à mesure que l’association se développera.
Cette dernière partie de la thèse documente la place des « Loan Exhibitions » au sein de l’ensemble des activités de l’AAM. Elle permet de soutenir l’idée selon laquelle ces expositions d’oeuvres prêtées ne survivent pas au processus d’institutionnalisation de l’association artistique.
Entre 1860 et 1874, elles constituent la principale activité de la proto-institution.
Entre 1878 et 1893, l’exposition annuelle du printemps prend le relais en tant qu’événement principal annuel. Sur le plan éducatif, la « Loan Exhibition » entre en compétition avec d’autres expositions d’oeuvres prêtées. La collection permanente et l’exposition d’oeuvres prêtées à long terme au sein de la « Loan Collection » forcent également un questionnement sur la place des « Loan Exhibitions ».
Entre 1893 et 1908, elles ont perdu en importance. Elles deviennent un service aux membres à cause de leurs importantes primes d’assurance. Toutefois, certains événements ponctuels permettent d’en organiser à l’occasion.
Enfin, après 1912, elles cessent d’être une activité de l’AAM. Elles deviennent une partie de son histoire.
1 Rapport annuel de 1914. Les informations cette année proviennent de cette source.
2 L’association est sous le patronage du troisième fils de la reine Victoria, Sa Majesté Arthur William Patrick Albert, premier duc de Connaught et de Strathearn et gouverneur général du Canada ainsi que de son épouse. Elle possède également 10 bienfaiteurs, 31 gouverneurs, 79 membres à vie et 1413 membres annuels.
3 Thomas B. Lawrence, Suddaby Roy et Bernard Leca, Institutional Work. Actors and Agency in Institutional Studies of Organizations, Cambridge (Royaume-Uni), Cambridge University Press, 2009, p. 281.
4 Records of the Art Association of Montreal, 26 janvier 1860, document conservé au service des Archives du Musée des beaux-arts de Montréal.