Entre 2011 et 2019, j’ai travaillé sur un doctorat interuniversitaire en histoire de l’art. Je place ici le brouillon de ma thèse. Vous pouvez consulter le plan complet du projet et une description de mon parcours. N’oubliez pas qu’il s’agit d’un brouillon.


4.5 Le premier bâtiment permanent

En 1878, le plus important sujet à l’ordre du jour concerne la construction de la galerie permanente. Les décisions ont été prises rapidement. L’idée de s’approprier la résidence de Benaiah Gibb est abandonnée. Le lot choisi est celui légué par le collectionneur.

La firme retenue est Hopkins & Wily1. Débutée en juin 1878, la construction doit être terminée en février 1879. Ce calendrier respecte l’échéance fixée par Benaiah Gibb. En conséquence, la somme promise de 8 000 $ devrait être versée à l’AAM2.

Malgré tout, la question financière n’est pas réglée. La levée de fonds n’a pas eu le résultat escompté. Plutôt, un emprunt est contracté auprès de Charles Gibb et une importante hypothèque est placée sur l’immeuble en construction :

Owing to the difficulty under the circumstances adverted to, of obtaining subscriptions, the Council would have been most seriously embarrassed but for the liberality of Charles Gibb Esquire of Abbotsford, who came forward at a critical moment, & offered a Loan of Seven thousand dollars, sufficient to enable the Council to complete the building. It is hoped the Association will concur in the acceptance of this loan, which is to be secured by mortgage payable in three years, with six per cent interest3.

L’immeuble final se déploie sur deux étages. Respectant la volonté de Benaiah Gibb, le rez-de-chaussée offre quatre espaces commerciaux ouverts sur la rue Sainte-Catherine. L’entrée vers la galerie d’art est située sur la rue du Square Phillips. Elle débouche sur un vestibule et un escalier monumental. Derrière celui-ci se trouve la salle de réunion du conseil d’administration. Quelques marches supplémentaires et la traversée d’un lobby permettent d’accéder à la galerie d’art. Elle est complétée par une salle réservée aux aquarelles et un petit bureau. Plusieurs espaces supplémentaires peuvent accueillir des œuvres. Ainsi, le lobby, le salon, la bibliothèque et bureau du conseil verront parfois des œuvres sur leurs murs.

La nouvelle réalité de l’association artistique force un changement de ses règlements internes. Le processus de hiérarchisation des membres est confirmé4. Le patronage s’obtient sur invitation du conseil5. Un généreux don financier permet d’obtenir les titres les plus prestigieux6. Malgré tout, l’AAM ne crée aucune barrière financière qui aurait pu empêcher l’accès à ses activités. D’abord, elle veut stimuler le développement de sa collection permanente. En ce sens, une œuvre d’art peut remplacer le montant d’argent demandé7. Une catégorie semble créée spécifiquement pour les artistes. Ainsi, le titre « Fellow » est accordé aux personnes ayant développé une réputation artistique et remettant une œuvre d’art originale8. Ensuite, elle permet la participation à la vie associative sans dons financiers ou matériels9. Les droits de vote accompagnent cette structure interne10.

Les différentes manières par lesquelles il est possible de devenir membre ne sont pas anecdotiques. Elles reflètent un réel désir de conserver la caractéristique collective de l’AAM. D’ailleurs, une proposition qui aurait permis à la famille Gibb de siéger d’une manière permanente sur le conseil d’administration de l’AAM a été rejetée. Elle aurait donné à Charles Gibb et à ses successeurs cinquante voix à perpétuité :

A special vote shall be allowed in perpetuity to a representative of the late Benaiah Gibb, as the founder of the present « Art Gallery, » by which such representative shall be entitled to fifty votes at all meetings of this Association. It is being declared that such representation shall vest firstly, and as soon as these By-Laws are enacted, in Charles Gibb, of Abbotsford, in the Province of Quebec, the nephew and executor of the last will and testament of the late Benaiah Gibb, and that said Charles Gibb may by will, and he shall be entitled so to do, to name and appoint a successor to the right to vote as aforesaid, and such rights shall be transmitted in like manner in perpetuity, with the sole limitation that the representative be a blood relation of the late benaiah Gibb, of the name of « Gibb, » and a member of this Association ; and in default of such nomination of a representative by Charles Gibb, or his successor or successors of such representative, the Council of this Association shall be entitled to appoint such representative11.

L’AAM demeure portée par des soutiens individuels. Le legs de Benaiah Gibb et les quelques appuis qu’elle reçoit ne doivent pas occulter la faiblesse de l’initiative auprès de la population montréalaise. Les ressources financières demeurent insuffisantes. À la fin de l’année 18879, l’association n’aura recueilli que 14 965 $ sur les 24 403,86 $ dépensés12. Les encouragements de 1878 ne se sont pas concrétisés. Seulement dix personnes ont contribué 500 $ chacune. Contrairement à 1860, aucun francophone ne paraît impliqué dans l’initiative.

En manque de capitaux, l’AAM doit se tourner vers la famille de Benaiah Gibb pour une troisième fois. Sa nièce Catherine Ann Ferguson prête 3 000 dollars. De plus, l’idée de louer des locaux commerciaux afin de fournir un revenu régulier demeure inachevée13. La location des espaces n’atteint pas l’objectif souhaité. Dans ces circonstances, l’association choisit d’en réserver un à des fins éducatives : « Seeing the Association’s shops did not rent freely, the Council willingly reserved one of them for educational and library uses, and opened communication between it and the corridor, but in the present state of the Association’s finances, it was deemed inexpedient to authorize the other committees to do more than organize. »

L’action se concentre sur quelques comités : le Art Gallery Committee et l’Entertainment Committee doivent organiser la première soirée inaugurale et les Finance Committee et Building Committee se préoccupent des aspects matériels. Malgré son inscription durable dans le paysage montréalais, la situation financière précaire de l’AAM oriente le choix de ses activités.

1 Rencontre du 19 décembre 1878, Annual Meetings / General Meetings, January 1860 – Novembre 1954, p. 75, conservé au service des archives du MBAM.

2 Id.

3 Charles Gibb est élu conseiller de l’AAM le 8 janvier 1879. L’entente verbale avec le conseil de l’association artistique est confirmée par une note écrite le 9 avril 1879. Elle rappelle l’obligation de construire l’immeuble dans un délai rapide. Pour la citation, voir rencontre du 19 décembre 1878, Annual Meetings / General Meetings, January 1860 – Novembre 1954, p. 75, conservé au service des archives du MBAM. Pour l’élection, voir rencontre du 8 janvier 1878, Annual Meetings / General Meetings, January 1860 – Novembre 1954, p. 80, conservé au service des archives du MBAM. Pour la note écrite, voir le carton A1848 des documents retirés des spicilèges, chemise « Construction du premier musée – Square Phillips », conservé au service des archives du MBAM.

4 Il existe désormais cinq catégories de membres : « Patrons », « Benefactors», « Governors», « Fellows» et « Members». 1879 rapport annuel p. 25-26. Les autres informations sur les catégories de membre proviennent de cette source.

5 « The Council may from time to time solicit and name persons distinguished by high rank and station, and by their appreciation of Fine Art, to be Patrons of the Association ».

6 Pour devenir « Benefactor », il faut offrir 5 000 $ ou plus. Le titre de « Governor » est associé à un don de 1 000 $ ou plus. Les membres réguliers sont également divisés en catégories selon le montant d’argent offert à l’AAM. Un don de 100 $ ou plus permet d’obtenir un abonnement à vie. L’abonnement annuel demeure établi à 5 $.

7 Il est possible de devenir « Governor» grâce au don d’un bien évalué à 1 000 $ ou plus. L’abonnement à vie su membre régulier peut s’obtenir grâce au don d’un bien évalué à 400 dollars.

8 « A donation of an original work from any person who has attained eminent proficiency in Art, shall be a qualification for nomination to the office of Fellow. »

9 Le membre associé est invité par l’AAM.

10 Suivant approximativement le même ordre de grandeur, les droits de vote varient de cinq pour les Benefactors et Governor à un pour les membres réguliers.

11 By-Laws of the Art Association of Montreal, dans le carton A1848 des documents retirés des spicilèges, chemise «Documents constitutifs», conservé au service des archives du MBAM. Une note manuscrite indique « By Laws – Proposed but not accepted ».

12 AAM1879 rapport annuel p. 11. Les informations dans le reste du paragraphe proviennent de cette source.

13 La charte doit être amendée afin que l’association tire un profit de ses biens immobiliers. AAM1879 rapport annuel p. 10.