Entre 2011 et 2019, j’ai travaillé sur un doctorat interuniversitaire en histoire de l’art. Je place ici le brouillon de ma thèse. Vous pouvez consulter le plan complet du projet et une description de mon parcours. N’oubliez pas qu’il s’agit d’un brouillon.
4.5 L’institutionnalisation de certaines activités
Les tendances observées jusqu’à présent se solidifient. La séparation entre les beaux-arts, les arts mécaniques et l’artisanat se maintient. Désormais, la gravure, la photographie, les arts décoratifs et les objets remarquables par leur maîtrise technique ne seront plus exposés avec les beaux-arts1. Les médailles et les pièces de monnaies n’y ont plus leur place2.
Aussi, la nature privée de l’AAM est préservée. Elle refuse de se joindre au projet d’association nationale devant mener à l’Académie royale des arts du Canada3. Néanmoins, elle continue d’intervenir dans le débat public en prenant position en faveur d’une exemption des tarifs douaniers sur les œuvres d’art4.
À partir de 1880, elle propose des conférences permettant de traiter de questions artistiques5. La même année, elle compte trois employés : le secrétaire et conservateur Samuel English, une personne chargée de l’entretien et une surveillante6. Toujours la même année, elle réserve une plage horaire aux artistes afin de leur permettre de copier les œuvres de sa collection permanente7. En 1881, elle met en place une école en collaboration avec les artistes8. En 1882, elle ouvre sa salle de lecture9. Durant la décennie, la bibliothèque s’enrichit de dizaines de volumes10.
En moins de dix ans, la situation financière de l’AAM s’améliore d’une manière spectaculaire. Les emprunts liés à la construction de l’immeuble du Square Phillips sont rapidement remboursés à Catherine Ann Ferguson (1881)11 et Charles Gibb (1882)12 grâce à des dons13. En 1883, un surplus de quelques centaines de dollars est dégagé14.
Nuances autour de la notion de proto-institution
La construction d’un bâtiment permanent et le développement d’une manière durable de certaines activités permettent de nuancer le statut de proto-institution de l’AAM entre 1879 et 1883. En effet, dans l’atteinte de sa mission éducative, l’association envisage plusieurs moyens. Leur développement, leur pérennité et leur importance dans le milieu permettent d’affirmer que plusieurs activités s’institutionnalisent. Il en va ainsi des cours artistiques, de la salle de lecture et de la bibliothèque.
Toutefois, sa nature associative continue de poser des problèmes institutionnels. L’ouverture d’un local permanent ne règle pas ces questions. À deux occasions, déjà, l’association était entrée dans une phase de sommeil. À un troisième moment, sa vitalité s’amoindrit grandement.
Entre 1883 et 1887, les problèmes récurrents reviennent. Les généreux dons ayant permis d’effacer la dette liée à la construction de l’immeuble se sont asséchés15. Les revenus tirés des espaces locatifs diminuent16. Il est proposé d’y déménager la salle de lecture17. En 1886, le discours n’a pas changé. Encore une fois, le manque d’intérêt de la population montréalaise pour les beaux-arts remet en question la survie financière de l’AAM :
The present crippled state of its finances of necessity precludes its managers from embarking on any enterprise which might lend it attraction, but would at the same time involve the risk of pecuniary loss. It is sincerely to be hoped that the condition will shortly come to an end. This city is deficient neither in wealth nor intelligence. We ought not merely to possess an art gallery which will attract visitors, but should give proof that we are not behind our neighbors in providing all other appliances which may benefit students, and assist in forming an efficient and prosperous School of Art18.
Les mondanités permettaient aux premières conversaziones d’obtenir du succès. Après l’enthousiasme accompagnant l’ouverture d’un nouvel espace, l’ennui a gagné les membres19. Sur le plan des expositions, l’accrochage d’oeuvres d’une manière permanente limite l’effet de nouveauté.
Vers un système annuel des expositions
Afin de résoudre ce problème, l’AAM va développer un système annuel des expositions. Il s’organisera autour de l’Exposition du Printemps consacré aux artistes contemporains canadiens, de la présentation des travaux des étudiants durant l’été et de la « Loan Exhibition ».
À ce moment, cette dernière modalité d’exposition retrouve le caractère événementiel qui lui était associé. Toutefois, elle devra entrer en compétition avec les œuvres prêtées d’une manière quasi-permanente au sein de la « Loan Collection » et les autres expositions temporaires.
Avec le temps, cette mise en concurrence jouera en sa défaveur. Le développement des collections montréalaises entraînera une augmentation considérable des primes d’assurances exigées lors de leur exposition.
Or, la pression continue sur ses finances incitera l’AAM à se tourner vers des alternatives moins dispendieuses. L’atteinte de la mission éducative par l’exposition se réalisera de moins en moins par la « Loan Exhibition » des œuvres de ses membres.
Plutôt, les charges qui leurs sont associées les classeront de plus en plus dans la catégorie des services offerts aux membres. Elles les empêcheront de devenir une activité qui se diffusera d’une manière durable. Le reste de ce chapitre s’intéresse à la place des « Loan Exhibitions » au sein de ce système annuel des expositions.
1 Les liens entre les arts décoratifs et l’AAM mériteraient une étude plus approfondie. Par exemple, l’un des espaces de l’association est loué à la Ladies’ Society of Decorative Art dès 1879. « Ladies’ Society of Decorative Art », Montreal Gazette, 27 mai 1879, article conservé dans les spicilèges de l’AAM, vol. 1, 1864-1887, service des archives du MBAM.
2 « A proposition from « The Numismatic Society » « that the Art Association accept their cabinet of coins and medals on loan for exhibition in one of the rooms in the new building » was considered and it was decided. That the Committee think the objects of the Numismatic Society is foreign to the objects of the Art Association and therefore they would not recommend the acceptance of the loan. », Procès-verbal de la réunion du 15 avril 1879, comité de la galerie d’art, Minute book of Meetings. Committees, p. 3, chemise « Standing Committees. Vol. 1. 1879-1892 », conservée au service des archives du MBAM.
3 « In September there was received through the President of the Ontario Society of Artists a draft by His Excellency the Governor General for the constitution of a central Dominion Art Association, to be called the Canadien Academy; The President of the Ontario Society informing us that he had been charged by his Excellency to lay the matter before our Association. In reply to the letter of the President of the Ontario Society, the Council informed him that while our Corporation had to preserve its separate organization, the Officers would yet do all in their powerto further the design of His Excellency and the orther promoters of the new Association, and to lead others to do so, and it was added that the formation of the new Association could not but be approved of. » Réunion du 14 janvier 1880 dans Annual Meetings / General Meetings, January 1860 – Novembre 1954, p. 82-84, conservé au service des archives du MBAM.
4 Réunion du 14 janvier 1880 dans Annual Meetings / General Meetings, January 1860 – Novembre 1954, p. 82-84, conservé au service des archives du MBAM.
5 AAM1880 rapport annuel.
6 Sur les fonctions de Samuel English, voir « The Art Association of Montreal. General Annual Meeting », [Montreal Gazette], [15 janvier 1880], article conservé dans les spicilèges de l’AAM, vol. 1, 1864-1887, service des archives du MBAM. La surveillante est embauchée à la fin de l’année 1880 sur recommandation du comité de la galerie permanente. La requête présentée au conseil d’administration suggère spécifiquement l’embauche d’une femme. Procès-verbal de la réunion du 18 octobre 1880, réunion des comités de la galerie d’art et des finances, Minute book of Meetings. Committees, p. 24, chemise « Standing Committees. Vol. 1. 1879-1892 », conservée au service des archives du MBAM.
7 Cette activité doit suivre une série de règles. Les artistes doivent être membres associés de l’AAM. Dans ce dessein, ils ou elles doivent remplir une demande d’admission accompagnée de lettres de recommandation. La galerie d’art leur est ouverte durant trois jours dans la semaine. L’oeuvre d’art à copier doit être précisée à l’avance. Dans le cas d’une œuvre prêtée, une permission doit être demandée auprès des propriétaires. L’accès aux œuvres est limité à une personne à la fois. Il est interdit de les toucher afin de créer une mise au carreau. Il est permis de laisser ses pinceaux et autres outils sur place. Enfin, les membres réguliers de l’AAM peuvent aussi réaliser des copies sous les mêmes conditions. L’accès à la copie est permis tant pour les hommes que pour les femmes puisque les pronoms « he or she » sont explicitement utilisés. Procès-verbal de la réunion du 23 octobre 1880, comité de la galerie d’art, Minute book of Meetings. Committees, p. 25-28, chemise « Standing Committees. Vol. 1. 1879-1892 », conservée au service des archives du MBAM.
8 AAM1880 rapport annuel.
9 « The Art Association. Annual Meeting », The Montreal Herald and Daily Commercial Dazette, 15 janvier 1883, article conservé dans les spicilèges de l’AAM, vol. 1, 1864-1887, service des archives du MBAM.
10 Les acquisitions et les dons pour la bibliothèque sont décrits dans les rapports annuels.
11 AAM1881 rapport annuel p. 5.
12 AAM1882 rapport annuel p. 3.
13 AAM1882 rapport annuel p. 7-8.
14 AAM1883 rapport annuel p. 13.
15 « No money donations having been received during the year, the Building Account remains unchanged from 1884 […] », AAM1886 rapport annuel p. 12-13.
16 « The shop above mentioned, which at one time brought in a rental of $600 a year, has for some time been leased at $400, the civic property tax, which is $60 a year, being also payable by the lessee. This lease expires in April next, when a new tenant will have to be sought for. » AAM1886 rapport annuel p. 12.
17 « It was decided that the committee should express to the Council its strong feeling of the desirability of converting the remaining shop, now in Mr. Halley’s occupation, into a Reading room, the present Reading Room to be used as office and council chamber. » Procès-verbal de la réunion du 15 avril 1879, comité de l’éducation et de la bibliothèque, Minute book of Meetings. Committees, p. 117, chemise « Standing Committees. Vol. 1. 1879-1892 », conservée au service des archives du MBAM.
18 « Art in Montreal », Montreal Herald, édition inconnue, 13 janvier 1887, article conservé dans les spicilèges de l’AAM, vol. 3, 1886-1892, service des archives du MBAM.
19 « […] they were always told that they never had any new attractions in the Art Gallery. […] . It was a matter of regret that the number of governors and life members had not increased for the last four years. This could hardly be explained in a large and influencial city like Montreal. During the past year not a single dollar had been given as a donation towards the amsociation for its current expenses. » « Art in Montreal », Montreal Herald, édition inconnue, 13 janvier 1887, article conservé dans les spicilèges de l’AAM, vol. 3, 1886-1892, service des archives du MBAM.