Entre 2011 et 2019, j’ai travaillé sur un doctorat interuniversitaire en histoire de l’art. Je place ici le brouillon de ma thèse. Vous pouvez consulter le plan complet du projet et une description de mon parcours. N’oubliez pas qu’il s’agit d’un brouillon.


4.6 L’exposition Rembrandt van Rijn de 1906

Au début du XXe siècle, les « Loan Exhibitions » peuvent être organisées en lien avec l’actualité artistique. En 1906, le tricentenaire du décès de Rembrandt van Rijn est un tel événement. En octobre, le conseil de l’AAM décide de souligner l’événement1. L’association explique ses motivations dans son catalogue :

On the 14th of July this year, at Leyden, began the celebration of the three hundredth anniversary of the birth of Rembrandt, which took place on the 15th July, 1606. With ceremonies of great dignity and interest, the new Rembrandt monument was unveiled, and a magnificent Loan Exhibition of his works opened in the Stedelijk Museum. These historical events were followed by the opening at Amsterdam, on the 15th July, of an Exhibition of Modern Dutch Art, in the Galleries of the Arti et Amicitiae. That these impressive functions were an expression of the homage of a whole people for their great master, was evidenced by the enormous crowds, composed of all classes, which poured into Leyden and Amsterdam during the celebration. And now, not in any spirit of emulation, but because such an important date in the annals of Art should be commemorated in some measure, the Council through the courtesy of the owners, have brought together the fine examples of Rembrandt’s work and of the work of his contemporaries, the Dutch Artists of the 17th century […]2

Ving-neuf œuvres attribuées à Rembrandt van Rijn, Frans Hals, Gérard ter Boch, Jan Josefz van Goyen et plusieurs autres artistes du siècle d’or sont réunies3. Dans le catalogue, le processus de mise en valeur des artistes et des œuvres se poursuit. D’importantes notices biographiques introduisent chacun des artistes. Les trois peintures de Rembrandt sont précédées d’une notice s’étirant sur une page complète4.

À ce moment, la qualité des œuvres dans les collections montréalaises ne fait aucun doute. Martin Conway réalise un portrait des œuvres possédées par sir William C. van Horne pour la revue The Connoisseur en 19055. Auteur d’une recension des plus importantes collections en Amérique du Nord, August F. Jaccaci le contacte ainsi que George A Drummond6. Les œuvres des collectionneurs montréalais circulent ailleurs sur le continent nord-américain7.

Comme par le passé, l’aspect événementiel et la qualité des œuvres ne suffisent pas à engendrer le succès. Proposée pendant deux semaines, elle n’est vue que par 1 102 personnes dont 894 membres8. Un important déficit est créé9.

La pression financière

Plus de quarante ans après sa fondation, la question financière continue d’orienter les activités de l’association. En juin 1906, son président Francis J. Shepherd souligne une nouvelle fois l’importance d’augmenter à la fois les revenus et le nombre de membres :

In moving the adoption of the Report, the Chairman refered to the great need there was for an increase in the revenue of the Association, in order to place them in a position to make the repairs to the building and galleries which were so necessary; and he pointed out that the membership of 800 was not full, and that the members should take advantage of this, and intice their friends to join at once; as, when the list was completed, there would a waiting list, and much delay might be experienced in having their nams inscribed upon the roll10.

L’AAM peine à boucler son budget. Le développement de sa collection permanente, son immeuble au Square Phillips et le fonds légué par John W. Tempest pour acquérir des œuvres forment l’essentiel de ses actifs11. Ses frais annuels dépassent 10 000 $12. En 1906 et 1907, elle crée un nouveau déficit13. Ses revenus demeurent modestes et ses dépenses grimpent :

The Council, in submitting their report for the year ending the 31st May, 1907, regret that they are unable to present a more satisfactory financial statement, notwithstanding the additional revenue at their disposal. The large and unexpected increase in the valuation of the property by the City (some $25,000) ; the cost of the much needed, and it is to be hoped satisfactory, repairs to the Tempest Room, and the increased cost of the Exhibitions, owing to the loss of receipts from the public, and the increase in cost of attendance ; have necessitated a much larger expenditure than usual ; and had it not been that the accounts due by the members, and the rents, were promptly paid, the statement for the year would a shown a much more serious deficit14.

Ses sources de revenu les plus importantes demeurent les abonnements des membres et la location des espaces commerciaux15. Elle a de la difficulté à générer de nouveaux revenus autonomes. Du côté des dépenses, les salaires et les frais d’assurances constituent les deux plus grandes postes comptables16.

Malgré ce sombre bilan, l’association continue sa mission éducative par les mêmes moyens que par le passé. Sous la direction de William Brymner, Alberta Cleland, Edmond Dyonnet et William R. Macpherson, ses cours artistiques sont prodigués à près de cent élèves17. La salle de lecture continue d’offrir une cinquantaine de périodiques de Londres, Paris, New York, Chicago et Boston, des catalogues et des rapports annuels. La bibliothèque a acquis dix-neuf volumes et reçu six dons. Six conférences ont été prononcées, traitant de sujets aussi variés que les « Alpes » canadiennes, la couleur dans les régions polaires, Michel-Ange, Giotto, l’humour américain et la musique anglaise.

Enfin, les expositions attirent les membres. La collection permanente paraît attirer la majorité des visites18. Du côté des expositions temporaires, la plus populaire demeure l’Exposition du Printemps19. Elle génère des surplus d’une manière continue20. À la manière de la « Loan Exhibition », les autres expositions temporaires peinent à rejoindre un aussi vaste public21.

Dans leur organisation, l’AAM tient compte de l’aspect comptable. Par exemple, en 1908, elle exprime ses inquiétudes lorsque le projet d’exposition de la Royal British Colonial Society of Artists lui est soumis, elle négocie à la fois sur les plans financier et artistique :

The Secretary informed the Council of the offer of the Royal British Colonial Society of Artists to hold an Exhibition here of work by their members, this Association to pay expenses. The proposition in this form did not appeal to the Council, and the Secretary was authorized to offer that the Association should pay the freight back charged here and say $150,00 for contingencies, provided they were allowed to choose some Artists of merit of the Society22.

Les conditions énoncées par le conseil sont acceptées en 190923 et l’événement se déroule à l’automne24. Malgré ces précautions, un modeste déficit de 66,03$ est enregistré25. Moins dispendieuses, les expositions consacrées aux artistes canadiens profitent peut-être de cette dynamique26.

Le paradoxe associatif

D’une manière paradoxale, l’AAM est prisonnière de sa nature associative. D’un côté, ses membres fournissent une part importante de ses revenus. Ils forment aussi le premier public de ses activités. De l’autre côté, sa mission éducative n’est pas dirigée qu’à leur endroit.

Depuis le début, elle désire avoir un rôle actif dans la promotion des beaux-arts dans la société montréalaise considérée dans son ensemble. Toutefois, elle a de la difficulté à atteindre l’autonomie financière. Dans ce contexte, l’organisation d’une « Loan Exhibition » déficitaire et surtout fréquentée par les membres n’est pas une priorité.

En 1908, l’impatience des membres et l’inquiétude du conseil sont exprimées27. Alourdie par ces considérations, la dernière « Loan Exhibition » à occuper la galerie d’art du Square Phillips est organisée pendant une dizaine de jours en décembre 190828. Elle engendre des frais de 390,83 $29. Les membres forment l’essentiel des visites30.

1 Réunion du 19 octobre 1906 dans Annual Meetings / General Meetings, January 1860 – Novembre 1954, p. 103, conservé au service des archives du MBAM

2 AAM1906 catalogue [p. 3].

3 AAM1906 catalogue.

4 AAM1906 catalogue p. 4-5.

5 Martin Conway, « Sir William van Horne’s Collection at Montreal », The Connoisseur, vol. 12, no. 59 (juillet 1905), p. 135-142

6 August F. Jaccaci et John LaFarge, Noteworthy Paintings in American Private Collections, New York, Garland, 1907.

7 À titre d’exemple, elles sont présentes dans l’exposition Hudson-Fulton organisée par le Metropolitan Museum de New York en 1909.

8 À titre comparatif, l’exposition de l’Académie royale des arts du Canada au printemps a intéressé 3 917 personnes dont 2 376 membres. AAM1907 rapport annuel p. 6.

9 Pour cette exposition, il atteint 678,90 $. AAM1907 rapport annuel p. 14-15 .

10 Réunion du 21 juin 1906 dans Annual Meetings / General Meetings, January 1860 – Novembre 1954, conservé au service des archives du MBAM.

11 En mai 1907, ils totalisent 304 000 $ sur une valeur comptable de 311 000 $. AAM1907 rapport annuel p. 16. Les informations financières de ce paragraphe proviennent de cette source.

12 Ils sont précisément de 10 198,90 $.

13 L’année fiscale se terminant le 31 mars 1907, il atteint 184,44 $ pour cette période..

14 AAM1907 rapport annuel p. 4.

15 Sur un budget de 10 198, 90 $, les loyers abonnements rapportent 6 299 $. Les loyers perçus ajoutent 3 049,88 $ dans les coffres. L’exposition de l’Académie royale des arts du Canada et les concerts ajoutent respectivement 563,82 $ et 490 $ dans le bilan financier.

16 Les salaires atteignent 3 292,84 $ et les assurances se situent à 1 118,95 $.

17 Les informations sur les activités de l’AAM en 1907 proviennent de son rapport annuel, p. 5-11.

18 Les données pour les visites à la collection permanente ne sont pas isolées dans le rapport annuel. En 1907, l’AAM déclare globalement 22 927 entrées dans ses galeries séparées entre celles des membres (17 792), les gratuites (885) et les payantes (4 250). En y soustrayant les six expositions temporaires, la fréquentation de la collection permanente s’établirait à 11 608 visites par les membres, 735 visites gratuites et 1 879 entrées payantes.

19 En 1907, elle est visitée par 3 917 personnes dont 1 516 entrées payantes.

20 Selon les rapports annuels, ils s’établissent à 107,55$ en 1908, 235,83$ en 1909 et 618,55$ en 1910.

21 La « Loan Exhibition » accueille 1 102 personnes dont 894 membres. Les autres événements et leurs statistiques de fréquentation sont la troisième exposition de gravures intitulée Third Black and White Exhibition (844 personnes, 753 membres), l’exposition de la collection Stokes de New York (1 353, 876), les miniatures et les portraits par Kathleen A. Behenna (363, 311), les œuvres de William Brymner, John Hammond, Maurice Cullen et Laura Muntz (1 126, 974) et l’exposition de l’Académie royale des arts du Canada. Durant la période entre 1904 et 1907, seule l’exposition du tableau The Coronation of His Majesty King Edward VII par l’académicien britannique Edwin Abbey fait figure d’exception. Proposée en septembre 1905, elle attire une foule considérable de 22 000 personnes. Sur cette dernière exposition, voir AAM1905 rapport annuel.

22 Procès-verbal de la réunion du 23 juillet 1908, conseil de l’AAM, Council Meetings. 1895-1925, p. 121, conservé au service des archives du MBAM.

23 Procès-verbal de la réunion du 10 mars 1909, conseil de l’AAM, Council Meetings. 1895-1925, p. 134, conservé au service des archives du MBAM.

24 Intitulée Modern British Art, l’exposition se déroule entre le9 novembre et le 14 décembre 1909.

25 AAM1909 rapport annuel p. 14.

26 Si leur bilan financier reste à préciser, il est indéniable que le nombre d’expositions consacrées aux artistes canadiens connaît une croissance importante au tournant de 1910. Les expositions du Printemps et des travaux des élèves des classes artistiques sont présentées d’une manière récurrente. En 1908, les œuvres de Robert Tait Mackenzie, Katherine E. Wallis et Oscar Waldemann sont soumises au regard du public. En 1909, le travail de William Brymner, Maurice Cullen, John Hammond, Laura Muntz et Alfred Laliberté est mis en valeur. En 1912, des expositions particulières regroupent les peintures de Mary Riter Hamilton et Edward S. Curtis. Cette tendance se poursuit dans le nouvel immeuble de la rue Sherbooke puisque 1913 voit se succéder des expositions de Randolph S. Hewton et Alexander Young Jackson, Charles de Bell, John Lyman, Frederick Lessore, Robert Tait McKenzie et John Kettelwell.

27 « The Secretary stated that the members were most anxious to have a Loan Exhibition this year. None has been held since 1906. The insurance has been very costly on these exhibitions so far, ranging from premiums from $ 300 to $ 600 for a forthnight. In view of this heavy charge the Council has decided to let the question stand over to a future meeting. » Procès-verbal de la réunion du 13 novembre 1908, conseil de l’AAM, Council Meetings. 1895-1925, p. 124, conservé au service des archives du MBAM.

28 « It was decided that if the insurance did not turn out to be too high a loan exhibition might be held from 8th to 18th December, the insurance to be in the neighborhood of $ 200,00. » Procès-verbal de la réunion du 1er décembre 1908, conseil de l’AAM, Council Meetings. 1895-1925, p. 129, conservé au service des archives du MBAM.

29 AAM1908 rapport annuel p. 15.

30 Les visites totalisent 1 185 entrées réparties entre les membres (965), les entrées gratuites (22) et les entrées payantes (198). À titre comparatif, l’exposition du Printemps attire 4 619 personnes. AAM1908 rapport annuel p. 5-6.