Entre 2011 et 2019, j’ai travaillé sur un doctorat interuniversitaire en histoire de l’art. Je place ici le brouillon de ma thèse. Vous pouvez consulter le plan complet du projet et une description de mon parcours. N’oubliez pas qu’il s’agit d’un brouillon.
4.5 L’exposition inaugurale de 1879
L’exposition inaugurale de 1879 constitue le point tournant de toutes les dynamiques observées jusqu’à présent. Les débats du passé et les aspirations de l’AAM s’y croisent.
D’abord, l’événement est mondain. Le nouveau gouverneur général et son épouse, le marquis de Lorne et la Princesse Louise, sont invités à l’inauguration du 26 mai1. Pour la première fois, le représentant de la Couronne vient expressément dans la métropole pour une activité organisée par l’association. La conversazione réunit le gratin de la société anglo-montréalaise2.
Deux allocutions sont prononcées à ce moment. Le président de l’AAM, le juge Robert Mackay, reprend un discours apparenté à celui de ses prédécesseurs. Les beaux-arts doivent identifier le Beau dans la Nature afin de permettre un détachement des considérations pratiques du quotidien :
We not only believe that the love of the beautiful in nature and art is a source of some of the purest pleasures of life, that it stimulates and supports our highest aspirations, and we think that the influence of the Fine Arts is especially important in refining and ennobling those practical aims which necesarrily tend to absorb the energies of a people actively engaged in developing the material resources of our young and rapidly growing country. […] [W]e feel that the promotion of Art could receive no higher or more efficent countenance than in the patronage extended by those who represent the Crown of England, and in their persons unite illustrious lineage and station with a love of intellectual and aesthetic culture […] Ours is believed to be the first building erected in the Dominion wholly for Fine Art purposes3.
De son côté, le discours du gouverneur général encourage ce premier jalon dans le développement d’une institution consacrée aux beaux-arts. Il en profite pour défendre son projet d’une académie canadienne :
I think Montreal can be honestly and warmly congratulated, not only upon the possession of a collection which will go far to making her Art Gallery one of the most notable of her institutions, but on having suoceeded in getting possession of funds enough at a time which is certainly by no means peculiarly propitious for the gathering of money, to give a home to this coliection in the Gallery in which we are assembled, and to have erected a building large enough to exhibit to advantage many other pictures besides those belonging to the bequest. […] Why should we not soon be able to point to a Canadian school of painting, for in the appreciation of many branches of art, and in proficiency in science, Canada may favorably compare with any country. […] To pass to our present prospects, I think we can show we have good promise, not only of having an excellent local exhibition, but that we may in course of time look forward to the day when there may be a general art-union of the country, and when I or some fortunate successor may be called unpon to open the first exhibition of a Royal Canadian Academy to be held each year in one of the capitals of our several Provinces ; […]4
L’exposition est composée de trois volets identifiés séparément : la collection permanente de l’AAM, la dation de Benaiah Gibb et les œuvres prêtées par des collectionneurs et des artistes. À la suite de la recommandation du comité responsable de l’exposition, l’origine géographique des artistes est indiquée afin de faciliter l’identification des Canadiens5. Dans son rapport annuel, l’AAM insistera sur leur présence6.
Les peintures à l’huile et les aquarelles forment l’essentiel des 357 œuvres exposées7. Encore une fois, des œuvres sont mises en vente, permettant ainsi à l’AAM de récolter une légère commission8. La critique dans la presse s’organise de la même manière que lors des éditions précédentes : compte rendu de la soirée inaugurale, publication des allocutions, liste des personnes présentes, description de l’accrochage et mise en exergue de certaines œuvres.
L’ouverture d’une galerie permanente permet de formuler de nouveau les attentes et les craintes exprimées par le passé :
The speech of the Marquis of Lorne, and the address to which it is a reply, set forth so thoroughly the beneficial influences which flow from the developement of an artistic spirit among our people that it is unnecessary to further dilate upon this subject ; suffice it to say that this art gallery which has now been opened will supply a want which the lovers of art have long felt in our community. All that is required now to ensure the success of this movement which has been inaugurated under such fortunate auspices, is the hearty co-operation of our citizens, without which the results so much to be desired, and which the Governor General depicted in glowing terms, cannot be accomplished9.
L’exposition inaugurale occupe les salles de l’AAM jusqu’au 3 septembre 187910. L’association décide d’instaurer des journées gratuites, d’abord à la fin de l’exposition inaugurale, puis à chaque samedi11. La stratégie permet d’accueillir 23 000 personnes dans les salles12. Un léger déficit de 168,46 dollars est créé13.
L’année 1879 se termine sur une note encourageante. En permettant à la lumière naturelle de pénétrer les salles d’une manière importante, la question de l’éclairage des œuvres est disparue des débats. Surtout, la dation de Benaiah Gibb a pu être acceptée par l’AAM, une galerie d’art permanente a été érigée, une exposition inaugurale a été organisée et le public a été au rendez-vous.
1 « It is also recommended that His Excellency the Marquis of Lorne and Her Royal Highness the Princess Louisa should be invited t honor the the opening with their presences. » Réunion du 13 décembre 1878 dans Annual Meetings / General Meetings, January 1860 – Novembre 1954, p. 76, conservé au service des archives du MBAM.
2 « The house was crowded by a very assemblange of the élite of the city, comprising a large proportion of all the subscribers to the Art Association with their ladies. » « The Art Conversazione », Montreal Witness, édition inconnue, 27 mai 1879, article conservé dans les spicilèges de l’AAM, vol. 1, 1864-1887, service des archives du MBAM.
3 AAM1879 rapport annuel p. 15-16.
4 AAM1879 rapport annuel p. 16-18.
5 Procès-verbal de la réunion du 18 avril 1879, comité de la galerie d’art, Minute book of Meetings. Committees, p. 5, chemise « Standing Committees. Vol. 1. 1879-1892 », conservée au service des archives du MBAM.
6 « Of the Loan Collection, forty-one oil-paintings, thrity-seven water-colors, and one marble bust were by artists resident in Canada. » Ce commentaire est réalisé pour l’ensemble des œuvres exposées en 1879 plutôt que la seule exposition inaugurale. AAM1879 rapport annuel p. 8.
7 Les trois volets se décomposent de cette manière : 148 peintures à l’huile, 121 aquarelles et 2 dessins pour la « Loan Collection », 72 peintures et 4 sculptures pour la dation Gibb, 8 peintures et 2 aquarelles pour la collection permanente de l’AAM. Voir AAM1879 catalogue.
8 Elle s’élève à 37,50 $. AAM1879 rapport annuel p. 9.
9 « The New Art Gallery », Montreal Gazette, 27 mai 1879, article conservé dans les spicilèges de l’AAM, vol. 1, 1864-1887, service des archives du MBAM.
10 AAM1879 rapport annuel p. 8.
11 Id.
12 Id.
13 AAM1879 rapport annuel p. 10.