En février 2010, le Club des collectionneurs en arts visuels de Québec s’entretenait avec Françoise Sullivan et Marcel Barbeau chez Lacerte Art contemporain. Animant un blogue à l’époque, j’avais rédigé ce compte rendu. Je le rends disponible tel qu’il était rédigé à ce moment.
La série de conférences autour de Borduas, organisée par le Club des collectionneurs en arts visuels de Québec, s’est poursuivie dimanche après-midi chez Lacerte Art contemporain avec le témoignage de Marcel Barbeau. Rappelons que ces échanges ont été mis en place pour signaler les cinquante années écoulées depuis le décès du peintre automatiste.
Après Françoise Sullivan vendredi soir, ce fut au tour de Marcel Barbeau de se prêter au jeu de la discussion dirigée pour parler de Borduas et de son parcours artistique. Il faut souligner que c’est un homme frêle qui s’est présenté à l’assemblée. Avec une voix parfois difficile à saisir, aidé quelques fois par sa conjointe Ninon Gauthier, l’homme a généreusement partagé ses souvenirs.
Au fil des anecdotes, on nous a rappelé que monsieur Barbeau vient d’un milieu modeste où l’art visuel ne faisait pas partie du quotidien. Par sa mère, il était quand même en contact avec la musique et la danse. Sa famille racontait que tout jeune, il aimait travailler manuellement les objets, ce qui pourrait expliquer son entrée à l’École du meuble de Montréal.
Monsieur Barbeau nous a aussi signalé que les inscriptions dans les écoles constituaient aussi une façon de ne pas monter au front de la Seconde Guerre mondiale. En effet, il a raconté qu’en étant enregistré dans une école, il n’avait pas à aller à la guerre. Ninon Gauthier a précisé ce point en signalant qu’il était aussi trop mince pour faire son service.
À l’École du meuble, il a été intrigué par Borduas. En voyant sa salle de cours où se trouvaient des toiles, il a demandé à la direction « à être muté dans sa classe ». Ce que Borduas apportait, c’était le contraire de l’académisme, à tout le moins l’approche académique telle qu’elle était enseignée à l’École des beaux-arts de Montréal.
Le moment le plus fort de la conférence est arrivé lorsque monsieur Barbeau a décrit le déroulement des cours que donnait Borduas. Ce dernier se présentait en classe, les élèves ayant déjà leur toile sur leur chevalet. Il ne disait rien. Il plaçait ensuite un plâtre moderne dans la pièce. Il n’ouvrait la bouche qu’au moment où les premiers traits apparaissaient sur les toiles des étudiants, à aucun moment avant celui-ci.
Ce faisant, il encourageait le mouvement de l’expression, cherchant ainsi à épauler la construction de la personnalité de l’artiste. Il les laissait s’exprimer, même si le résultat n’entrait pas dans les normes qu’il préconisait. Il disait que ça allait se replacer. Il ne réalisait aucune critique à l’École.
Les contacts avec Borduas en dehors de la salle de cours n’étaient pas très nombreux. Marcel Barbeau a rappelé une fois où il était allé cogner à la porte de son bureau pour lui montrer ses projets.
Il s’est surtout souvenu de son atelier à l’extérieur de l’École où il avait de nombreux tableaux et où Borduas avait exprimé une critique plus sentie. Trois semaines plus tard, ce dernier serait revenu en lui disant qu’il aurait été trop sévère à son égard. Malheureusement, Marcel Barbeau avait détruit la presque totalité de cette production artistique car il avait confiance en l’oeil de Borduas.
Suite à une question de Me Marc Bellemare demandant si le groupe des Automatistes existait en 1945-46, Marcel Barbeau a répondu par la négative. Il a déclaré qu’aussitôt que Riopelle est parti, le groupe a cessé d’exister. Il en a profité pour parler des autres désaffections, dont le départ de Borduas pour New York.
À l’époque des Automatistes, les artistes s’organisent en quelques groupes. Les lieux d’exposition principaux sont le Salon du Printemps de l’Art Association of Montreal et la Société d’art contemporain. Marel Barbeau a pris soin de souligner que ces lieux n’avaient pas de pensée qui les regroupait et qu’ils oeuvraient surtout dans la figuration.
Quant au manifeste Refus global, il s’agit de l’initiative personnelle de Claude Gauvreau. Borduas n’était pas tout à fait d’accord avec le projet. Pour sa part, Marcel Barbeau y voit une de ses sculptures reproduites.
Contrairement à Françoise Sullivan qui racontait avoir hésité à signer le manifeste à cause de sa possible réception par sa famille, Marcel Barbeau n’a pas hésité à signer. Cela faisait partie de son environnement. Il a mentionné que beaucoup de personnes ont eu de la difficulté à apposer leur signature à cause du milieu fermé dans lequel ils se trouvaient.
La réaction de la presse et des institutions a été violente et surtout négative. Borduas était convaincu qu’il serait renvoyé car il avait outrepassé les tâches d’un professeur de l’École du meuble. Au moment où il a mis sa maison en vente, il commençait déjà à avoir un certain succès à New York.
Après le renvoi de Borduas, ses étudiants ont tenté de mener une lutte avec les moyens du bord. Les journaux étant décrits comme « peureux » face aux institutions, c’est dans le petit journal Combat qu’ils publient une dénonciation de ce geste. Monsieur Barbeau, pressé de questions, a aussi parlé de la grève des étudiants, une réaction sans lendemain car, selon lui, elle n’a pas été relayée par les journaux. Il a philosophé en mentionnant qu’une grève qui n’était pas appuyée par les mouvements syndicaux était impuissante. Après la publication de Refus global, le groupe a cessé de se voir même si certains font encore des choses ensemble.
Sur son exposition à New York en 1951, la première par un membre des Automatistes, on lui a demandé pourquoi ce désir d’aller dans la métropole américaine. Sans ambages, il a répondu qu’il fonctionnait par besoin, par désir. Il ne se posait pas ce genre de questions. Il a quand même mentionné qu’il avait vu des reproductions de tableaux par Pollock et de Kooning dans des revues.
Dans la métropole, il souhaitait rencontrer ces deux artistes, ainsi que Kline. En rigolant à moitié, il a souligné que le meilleur moyen pour les approcher consistait à fréquenter les bars, surtout le Cedar’s. Il voulait aller dans leurs ateliers, mais les artistes ne voulaient pas montrer leur travail. Il a quand même réussi à s’entretenir avec Kline. Il a retenu entre autres les grandes toiles sur lesquelles le geste est posé, pour ensuite les découper en plus petites toiles.
C’est dans un esprit similaire que Marcel Barbeau a réalisé ses Combustions – dont quelques exemples sont présentés chez Lacerte Art contemporain, tirés de collections particulières.
D’ailleurs, Paul-Émile Borduas s’est entretenu de ces oeuvres. Si Marcel Barbeau ne les montrait pas à Borduas, ce dernier les a aperçues dans une exposition de groupe, s’en procurant quelques exemplaires et partageant ces trouvailles dans son réseau.
L’entretien s’est terminé un peu abruptement lorsqu’est survenue la question du séjour de monsieur Barbeau à Québec. Pour gagner sa vie, il agissait comme photographe d’enfants. Visiblement fatigué, l’artiste a décidé de se fermer comme une huître. Ninon Gauthier a pris le relais, répondant aux questions de l’assemblée. À quelques moments, monsieur Barbeau a repris la parole afin d’apporter des précisions.
C’est donc avec une générosité importante que Marcel Barbeau, 85 ans, a partagé ses souvenirs sur Paul-Émile Borduas dans un entretien d’environ une heure. Les applaudissements ont été chaleureux.