Entre 2011 et 2019, j’ai travaillé sur un doctorat interuniversitaire en histoire de l’art. Je place ici le brouillon de ma thèse. Vous pouvez consulter le plan complet du projet et une description de mon parcours. N’oubliez pas qu’il s’agit d’un brouillon.
4.5 L’exposition de 1889: une exposition éducative
En 1883, l’AAM exprime clairement son désir d’autonomie financière. Elle ne peut dépendre de la seule philanthropie pour survivre :
In conclusion, the Council desire to express their belief that the position of the Association is yearly becoming more assured, and that it is winning its way with the more enlightened portion of the community. At the same time, much remains to be done before it can be worthy of the object for which it was founded, and of a city so large and so wealthy as Montreal. it should be borne in mind that no such organization as ours can really prosper unless it keeps pace with the progress of art and art-culture. To attain this result fresh pictures must be constantly added to the Gallery. The necessary supply of such works cannot depend on the uncertain generosity of occasional benefactors, but should be defrayed out of the funds of the Association. As art, if living, is ever advancing, a society intended to promote and encourage it must never rest satisfied with past efforts, but must be continually aiming at wider fields of enterprise, more perfect appliances, and fresh treasures of excellence. It is therefore to be regretted that the number of ordinary members of the Association falls rather below that of last year. The educational benefits which can be conferred by such an association are manifold, and it is hoped that its membership will yearly increase, and its area of usefulness be ever extending1.
Le moyen pour y arriver est financier. Puisque le soutien des membres ne suffit pas, seules des ressources monétaires autonomes peuvent lui permettre de se développer :
It is now evident that unless the membership of the Association becomes larger and the means at its disposal more ample, the services which it can render to the cause of art education and culture will be still more restricted, and its rooms become little else than a repository for a certain number of pictures. It is surely a patent fact that unless the Council be in a position to add yearly to the collection by judicious purchases of works of art, and thus to assist in educating the taste and knowledge of the citizens of Montreal, the interest of these last in the gallery will flag, because they will have become familiar with the works already within its walls, and because no fresh artistic attractions are presented to them2.
En ce sens, le conseil décide de développer le fonds de dotation. Ce projet avance grandement à partir de l’année 18873. Afin de le garnir, une foire est organisée en décembre 18874. La stratégie adoptée fonctionne puisque le fonds grimpe de 7 000 $ à 12 329,93 $ entre 1887 et 18895.
Ce type de sollicitation fonctionne d’une autre manière puisqu’elle encourage de nouvelles catégories de dons. Ainsi, en 1889, l’AAM reçoit une somme forfaitaire de Miss Dow permettant d’offrir un prix aux artistes canadiens participant aux Expositions du Printemps6.
Le désir d’autonomie financière de l’AAM
Malgré ces signes encourageants, le bilan financier de l’association fluctue d’une année à l’autre. En 1888, elle prévoit un surplus7. En 1890, elle engrange un déficit8. Dans ce contexte, la question de l’autonomie financière devient centrale. Elle oriente ses choix.
Dans les faits, pourtant, les relations personnelles continuent d’être au centre de son mode de financement. Ainsi, les abonnements et les dons demeurent ses principales sources de revenu9. La location des espaces commerciaux et les frais d’admission généraux produisent également un profit10. La plupart des autres activités sont déficitaires dont les cours artistiques, la salle de lecture et la bibliothèque11. À ces frais s’ajoutent les salaires, le gaz, les taxes, la publicité, la papeterie et les intérêts sur les prêts.
Sur le plan des expositions temporaires, la question est ambivalente. Certaines enrichissent, d’autres appauvrissent. Jumelée à celle du Printemps, l’exposition des académiciens canadiens est un succès financier. Elle garnit les coffres tant par les frais d’admission que par les commission prélevées sur les ventes12. Pour leur part, la « Loan Exhibition » et l’exposition de l’Angélus offrent des bilans contrastés.
La mission éducative de la Loan Exhibition de 1889
La « Loan Exhibition » de 1889 se distingue des expositions similaires organisées depuis l’inauguration des galeries d’art malgré un mode opératoire institutionnalisé au fil des dernières éditions. Les catalogues soulignent toujours l’importance du Salon parisien, de l’exposition triennale du gouvernement français et des académies13. Les différents honneurs reçus et l’appartenance académiques sont mis en exergue dans les notices biographiques. Malgré le renouveau des œuvres exposées, la lassitude apparaît de nouveau. Les Écoles française et hollandaise sont très vues.
Dans la perspective de sa mission éducative, alimentée par un probable élan de fierté nationale, l’AAM décide d’équilibrer la situation en présentant des œuvres britanniques14. Afin de remédier à cette lacune, le conseil profite de la retraite de son secrétaire John Macgullycuddy et de son retour en Irlande15. À cette occasion, il lui fournit une lettre de créances auprès des collectionneurs anglais et écossais16.
À partir de ce document, quatre éléments méritent d’être soulignés. D’abord, l’AAM considère naturel que les collections montréalaises soient plus riches en œuvres françaises et hollandaises17. Ensuite, un appel aux fibres nationalistes anglaise et écossaise est lancé. Aussi, l’importance des frais liés aux assurances est mentionnée. Ils sont pris en charge par l’association. Enfin, elle se présente sous son meilleur jour tout en révisant sa chronologie :
The Art Association of Montreal is an Incorporated Society, founded in 1867, for the encouragement of artistic taste and knowledge by the establishment of Art Schools, the holding of periodical Exhibitions, the formation and sustaining of a good permanent Collection of Painting and Statuary, and in all other ways which might seem to be of advantage towards attainning the ends proposed. It has at present a membership of about 700, and the Buildings belonging to it are fire-proof.
John Macgillycuddy obtient un certain succès en Grande-Bretagne. En Écosse, il est est aidé dans ses démarches par le marchand d’art W. D. Lawrie18. Collectionneurs et artistes britanniques prêtent des œuvres19. L’AAM complète l’exposition par des prêts des collectionneurs montréalais et du marchand Scott & Sons20.
L’objectif éducatif est précis : offrir des œuvres représentatives de l’art britannique21. Il est atteint, malgré quelques difficultés22. La peinture à l’huile continue d’être un support artistique privilégié23. Dans le catalogue, les informations biographiques s’allongent. Ainsi, celle consacrée à l’artiste Edward Burne-Jones se déploie sur plus de cinquante lignes. De nombreuses entrées au catalogue sont accompagnées d’une description, d’une citation littéraire ou d’un détail historique. Des chefs-d’œuvre sont nommément cités24.
Les attentes initiales étaient grandes : « As there would necessarily be a large outlay for insurance, express charges, etc., a guarantee Fund has been suscribed to assist in covering any deficiency. It is confidently hoped however that the cordial support of the public will make this Exhibition such a success the the Council will be encouraged to even greater efforts in the future25. »
Sur le plan financier, l’exposition est un poids pour l’AAM. Le déficit atteint 326,08 $26. Afin de soulager l’association, certains collectionneurs montréalais paient eux-mêmes les primes d’assurances liées à l’exposition de leurs œuvres27. Dans ce contexte, il est peu surprenant que le catalogue contienne des pages de publicité. Encore une fois, la mission éducative n’entre pas en conflit avec les considérations commerciales puisque douze œuvres sont mises en vente28.
Contraste entre l’exposition de 1889 et celle de l’Angélus de Millet
Le contraste entre cette « Loan Exhibition » et l’exposition de l’Angélus de Jean-François Millet est important. Son passage par les douanes de la métropole offre l’occasion de la présenter au public montréalais. Acquise par l’American Art Association, elle doit débuter une tournée dans sept villes américaines29.
L’AAM saisit cette opportunité : « A notable event of the year was the exhibition of Millet’s famous ‘L’Angelus,’ which took place in the latter part of May and beginning of June. The Council on hearing that this picture had been brought to Montreal to meet the exigencies of the United States customs’ regulations, felt that an effort should be made to give the public an opportunity of seeing it30. »
Les négociations avec l’American Art Association sont difficiles puisqu’elle exige que tous les visiteurs, membres de l’AAM ou non, déboursent cinquante cents pour voir l’oeuvre31. L’association montréalaise accepte. Les avantages des membres sont suspendus durant cet événement32. Afin de compléter l’exposition, d’autres œuvres de passage et quelques prêts de collectionneurs locaux complètent l’offre visuelle33. L’événement créé par l’exposition du tableau le plus cher du monde permet à l’AAM de dégager un surplus financier34.
Ainsi, la « Loan Exhibition » devient un lieu par lequel le public a accès à des œuvres considérées comme étant de qualité élevée. Désormais, il ne s’agit plus d’exposer pour exister. La présence d’une collection permanente, d’une « Loan Collection » et d’expositions multiples rend cette question obsolète. Plutôt, le nombre important des peintures et aquarelles en sol montréalais permet d’offrir aux visiteurs et aux visiteuses quelque chose de nouveau à voir.
1 AAM1883 rapport annuel p. 12.
2 AAM1886 rapport annuel p. 3-4.
3 « For many years the Council have urged the importance of establishing a Sustentation or Endowment Fund. They are now happy to announce that several large subscriptions have been promised to this Fund, and would lay stress on the desirability of all patrons of Art contributing to this objet to the best of their ability » AAM1887 rapport annuel p. 3-4.
4 AAM1887 rapport annuel p. 4.
5 Voir AAM1887 rapport annuel p. 4 et AAM1889 rapport annuel p. 17.
6 AAM1889 rapport annuel p. 4.
7 Procès-verbal de la réunion du 10 février 1888, comité des finances, Minute book of Meetings. Committees, p. 119, chemise « Standing Committees. Vol. 1. 1879-1892 », conservée au service des archives du MBAM.
8 AAM1890 rapport annuel p. 12.
9 En 1890, les montants s’établissent à 2 674 $ pour les abonnements, et les dons et revenus liés à 3 254 $. AAM1890 rapport annuel p. 12.
10 En 1890, ils rapportent respectivement 1 757,16$ et 346,75 $. AAM1890 rapport annuel p. 12.
11 En 1890, le déficit s’établit à 262,58 $ pour l’ensemble des cours artistiques, 183,34 $ pour la salle de lecture et 32,89 $ pour la bibliothèque. AAM1890 rapport annuel p. 12-13.
12 En 1890, le bilan financier s’établit à 232,70 $. AAM1890 rapport annuel p. 12-13.
13 Voir AAM1887 catalogue et AAM1888 catalogue.
14 « During the Spring of 1887 and the Fall of 1888, the Loan Exhibitions held here, proved Montreal to be well supplied with good examples by the masters of the modern French and Dutch School. These Exhibitions also proved, however, how few pictures of a higher rank had found their way here from the English School. » AAM1889 catalogue [p. 1].
15 « In May last the Council sustained a great loss in the retirement of their Secretary, Mr. John Macgillycuddy, who had occaison to return to his home in Ireland. » AAM1890 rapport annuel p. 10.
16 La lettre de créances du 1er août 1889 est conservée dans les spicilèges de l’AAM, vol. 3, 1886-1892, service des archives du MBAM. Les prochaines citations proviennent de cette source.
17 « Owing ot the geographical position of the Dominion of Canada, and her relatively small population, by far the larger number of the pictures which find their way thither are naturally drawn from the large cities of the neighbouring Republic, and are also, consequently, of the Continental schools. »
18 « The Council aknowledges its great indebtedness to Mr. W. D. Lawrie of St. Vincent St., Glasgow, for the generous manner in which he used his influence to ensure the success of the Exhibition. » AAM1889 catalogue [p. 1-2].
19 Dans le catalogue de l’exposition, ils sont remerciés en ces termes : « Messrs. W. Connal Jr., of Glasgow, Arthur Sanderson, of Edinburgh, George White, of Stuart Lee, Ayr Robert Bennet, of Glasgow, G. F. Watts, R. A., of London, James Cowan, of Renfrew, Messrs. Alfred East, Jacomb-Hood, W. Logsdail and Solomon J. Salomon, of London » AAM1880 catalogue [p. 2].
20 Les collectionneurs locaux sont Richard B. Angus, William Hall, Leslie J. Skelton, Edward B. Greenshields et Fred. L. Wanklyn. AAM1889 catalogue [p. 2].
21 « […] an opportunity of seeing examples of the fine work produced by the leading Artists of the Mother-Country. » La lettre de créances du 1er août 1889 est conservée dans les spicilèges de l’AAM, vol. 3, 1886-1892, service des archives du MBAM.
22 « A number of difficulties had to be overcome. Most of the Artists and owners of pictures had left London for the summer, the Camberwall Loan Exhibition commenced in October, and a number of paintings were at the Exposition Universelle in Paris. Notwithstanding these obstacles the requisite number of pictures was secured […] » AAM1889 catalogue [p. 1].
23 Sur les 35 œuvres exposées, une seule esquisse est exposée soit Greek Girls Playing at Ball par sir Frederick Leighton. Il s’agit peut-être d’une aquarelle puisque le catalogue indique dessin (« Drawing » ) tandis que le registre signale qu’il s’agit d’une esquisse (« Sketch »). Ce dernier terme qualifie habituellement les aquarelles dans les documents de l’association. La légende suivante se trouve dans le catalogue : « Original study for picture in Royal Academy Exhibition of 1889. » Voir AAM1889 catalogue et AAM1889 registre.
24 « […] including such masterpieces as Mr. G. F. Watts’ « Love and Life, » (one of his greatest work), Mr. E. Burne-Jones’ « Tower of Brass, » and Mr. Solomon J. Solomon’s « Niobe. » » AAM1889 catalogue [p. 1].
25 AAM1889 catalogue [p. 1].
26 AAM1890 rapport annuel p. 12-13.
27 Il s’agit de Richard B. Angus et William Hall. AAM1889 registre.
28 Un même prêteur peut agir sur les deux plans. Ainsi, le collectionneur montréalais William Hall prête sept œuvres. Il en met deux en vente. Pour sa part, le marchand Scott & Sons contribue deux peintures. L’une est vente, l’autre ne l’est pas. AAM1889 catalogue.
29 Bradley Fratello, « France Embraces Millet : The Intertwined Fates of The Gleaners and The Angelus », The Art Bulletin, vol. 84, no. 4 (décembre 2003), p. 695,
30 AAM1890 rapport annuel p. 7.
31 Id.
32 L’information est indiquée dans les nombreuses publicités liées à l’événement. À titre d’exemple, voir Montreal Gazette, 15 mai 1890, publicité conservée dans les spicilèges de l’AAM, vol. 3, 1886-1892, service des archives du MBAM.
33 AAM1890 catalogue.
34 Les revenus proviennent des seuls frais d’admission. Ils totalisent 1 818 $. Les frais s’élèvent à 1 749,68 $. Le surplus correspond à 68,32 $. AAM1890 rapport annuel p. 12-13.