Entre 2011 et 2019, j’ai travaillé sur un doctorat interuniversitaire en histoire de l’art. Je place ici le brouillon de ma thèse. Vous pouvez consulter le plan complet du projet et une description de mon parcours. N’oubliez pas qu’il s’agit d’un brouillon.


4.3 L’année 1860 – L’exposition accueillant le Prince de Galles

Rappel chronologique

Le second événement auquel participe l’AAM est lié à la visite du Prince de Galles. Un rappel chronologique replace le rôle de l’association dans cet important événement. En mai 1859, le gouvernement canadien invite officiellement la reine Victoria au Canada à l’occasion de l’inauguration du pont nommé en son honneur. Le 30 janvier 1860, le gouverneur général du Canada apprend que le Prince de Galles présidera à cette cérémonie dont la date demeure incertaine. Il en fait la lecture publique devant le Parlement le 28 février. De nombreuses invitations supplémentaires parviennent dans la capitale anglaise, dont celle du président des États-Unis envoyée le 4 juin. Le Palais de Buckingham y répond le 22 juin. Environ un mois plus tard, l’héritier de la couronne britannique entreprend son voyage en Amérique du Nord. Il y arrive le 26 juillet et quitte le 20 octobre. Son visite montréalaise dure quatre jours, soit entre le 24 août et 30 août.

Pour sa part, la première réunion préparatoire à la formation de l’AAM se déroule le 11 janvier 1860. Elle doit sonder l’intérêt de la population à l’égard d’une association vouée à la promotion des beaux-arts. Le Nordheimer’s Hall accueille la seconde réunion le 26 janvier. L’intérêt étant suffisant grand, l’initiative est lancée. Le premier conseil est élu le 17 février. Le processus légal débute le 15 mars. L’AAM obtient la sanction royale le 23 avril. Elle organise sa conversazione le 10 mai.

Dans le chapitre précédent, nous avons montré comment cette chronologie et les interventions des différents acteurs mettent à mal l’idée selon laquelle l’AAM a été créée pour accueillir le Prince de Galles. Plutôt, nous avons défendu l’idée selon laquelle la visite royale a été l’occasion d’une prise de conscience sur la vie culturelle à Montréal.

La chronologie associée à l’exposition des beaux-arts visitée par l’héritier britannique soutient cette hypothèse. Ainsi, au moment où se déroule la première conversazione de l’AAM, le Canada se questionne encore sur la réception devant accompagner la visite du Prince de Galles. Les avis sont partagés, le niveau de tension est élevé, le temps est compté et les questions sont nombreuses. Dans son éditorial du 11 avril 1860, le Montreal Herald and Daily Commerce se fait l’écho d’une certaine anxiété agitant la société montréalaise :

What to do in honor of the Prince? That is the question of the day. Every one’s anxiety is, doubtless, to do his share in welcoming and honoring our illustrious visitor, with all his heart and with all his means; but no one appears to feel much confidence as to the right way of doing so – as to the steps which should be adopted to provide a happy and suitable and appropriate expression of this universal sentiment of our citizens. We claim not, either for colonists in general, or for our fellow-citizens in particular, any superlative modesty of self-appreciation; but the unknown has always a dash of the awful in it, and there can be no doubt that, in contemplating the advent of our royal visitor and of his reception by us, more or less appalling visions of courtly etiquette will arise to scare us with the idea that we may, unwittingly, do or say something, which may either be ridiculous, on our part, or may be other than agreeable to the object of our loyal and respectful cares and attentions1.

Le journal rappelle que la société montréalaise a déjà accueilli des gouverneurs, des représentants de la royauté, des héros militaires, des hommes d’état, des poètes illustres, mais que la visite de l’héritier de la couronne britannique se situe dans un autre registre. La manière appropriée pour recevoir ce visiteur est inconnue et le temps presse2.

Un point demeure certain : l’invitation a été lancée par le gouvernement de la Province du Canada. Les autorités coloniales sont responsables de l’accueil officiel. L’ennui du prince est craint. En ce sens, le regard porté sur la vie culturelle du Canada est sévère :

In the first place, it should be borne in mind that the Prince has been invited – and most properly so – by the Provincial Legislature. It is on the Government, then, – on the Executive, – that the pleasing duty devolves of receiving and entertaining His Royal Highness. It is for them to provide, or at least to initiate such demonstrations of welcome as – after, no doubt, due consultation with the Imperial authorities – may seem to them to be proper. We should remember that, with the exception of the magnificent structure which now spans our glorious river, there is but little in the way of art, or of social lige in Canada calculated to interest a young prince who has had, as it is called, the run of everything agreeable or exciting, that can be afforded by the accumulated wealth and civilization of Europe3.

Pour l’éditorialiste, l’intérêt du pays se trouve dans ses paysages naturels. Les lacs, les rivières et les forêts forment son attrait principal. Pour sa part, le pont Victoria est un symbole fort de l’ingéniosité et de l’industrie canadiennes. Le rôle de la société civile consiste à montrer son amour, son enthousiasme et sa loyauté à l’égard de la couronne. Il est prévu que l’inauguration du pont attire de nombreux touristes dans la ville. Il convient également de les divertir. Dans ce dessein, il est proposé de mettre sur pied un comité pour organiser ces festivités. Il serait financé par les contributions des citoyens. L’éditorial se conclut sur des questions urgentes :

The present subjects for consideration, however, it appears to us, are : – first, to understand clearly the nature of the thing to be done, which is, we take it, to provide such a bill of fare, and such accomodation, as may attract a vast number of visitors; and, secondly, to determine how this shall be done, which, we venture to suggest, can only be by devoting all our energies and pecuniary means to providing congenial and appropriate amusements for the three or four days of festive hospitality.

L’idée d’un comité de citoyens porte fruit. Dans le Witness, il est souhaité que les festivités qu’il organiserait soient adéquates pour les Chrétiens et les partisans de la tempérance4. La réception publique se déroule le 15 mai. À ce moment, une souscription est lancée sous le nom « The Citizens Reception Fund5 ». Le 29 mai, la somme récoltée s’établit à 11 535 dollars6. Le 5 juin, le comité exécutif est élu7. Peu après, il demande une aide financière à l’administration montréalaise8. Un sous-comité est créé le 8 juin afin de s’occuper de la décoration et des divertissements proposés au monarque, soit les arcs de triomphe construite sur le parcours, l’illumination des rues, l’organisation d’un événement sportif et la présentation d’un feu d’artifice9. La décoration sur le parcours deviendra la responsabilité conjointe du comité de citoyens et de la municipalité10. Les événements mondains de la visite royale sont un bal et une soirée prévus les 26 et 27 août11. Un emprunt de dix mille dollars est requis afin de construire un espace de réception temporaire12. Pouvant accueillir huit mille personnes, le bâtiment final ne doit pas coûter plus de douze mille dollars13. Au moment de la visite royale, la structure circulaire aura un diamètre de 900 pieds (environ 300 mètres) et accueillera quatre mille personnes14. Le calendrier des activités est fixé le 2 août15. Le Prince de Galles ouvrira officiellement l’exposition provinciale lors de son arrivée le 25 août. Immédiatement après, il inaugurera le pont Victoria. Le surlendemain, il entendra les discours honorifiques avant de participer au grand bal16. Le 28 août, les Amérindiens présenteront un événement sportif. Il sera suivi par un concert. Le lendemain, des événements regroupant militaires, pompiers et autochtones sont au programme. Enfin, le 30 août, en route vers Ottawa, il est prévu que le Prince de Galles participe à une excursion sur les rapides du Saint- Laurent à Lachine.

Le rôle du Conseil des arts et manufactures

À aucun moment, l’AAM n’intervient comme association dans les célébrations d’accueil du Prince de Galles. Si certains membres le font, ils agissent à titre individuel. Par exemple, le révérend Francis J. Fulford fait partie des personnalités recevant l’illustre membre de la famille royale sur les quais. Il y accompagne le représentant de l’église d’Écosse, l’évêque catholique romain, les membres du parlements, le maire, les conseillers municipaux et des représentants des différents corps militaires17. Située encore une fois sur la frontière entre le privé et le public, l’association intervient dans le cadre d’un événement géré par le gouvernement canadien, soit l’exposition provinciale.

Le Conseil des arts et manufactures pour le Bas-Canada est responsable de l’exposition devant mettre en valeur les produits canadiens. Créé par le gouvernement canadien en 1857, ses règlements ont été adoptés en janvier 185818. Il se rapproche de l’AAM par sa mission éducative. Surtout concerné par la question des habiletés techniques, il doit offrir des modèles d’oeuvres d’art, d’instruments et de machines afin d’améliorer la formation des ouvriers et des artisans. Dans ce but, il doit offrir une bibliothèque gratuite composée de livres de références, de plans et de dessins. L’objectif consiste à offrir une formation dite utile. Il peut aussi fonder des écoles, des collèges et des musées minéralogique, technique et chimique afin de diffuser le savoir. Organisme gouvernemental, sa composition est fixée par la loi. Elle inclut le ministre de l’agriculture, les professeurs d’histoire naturelle dans les collèges et université, les surintendants en chef, les présidents des chambres de commerce, des instituts d’artisan et des associations consacrées aux arts.

En 1860, au moment où l’AAM est fondée, un rapport est fait au gouvernement afin de revoir son mandat. Il est question d’y intégrer la notion des beaux-arts. Précisément, cette section est ajoutée :

[…] et toute association des arts, constituée en corporation dans le Haut et le Bas-Canada, respectivement, qui emploiera pas moins de la moitié de son revenu annuel à l’avancement des beaux-arts et de l’industrie en Canada, devra, à sa dernière assemblée de chaque année, élire et accréditer auprès du bureau des arts et manufactures, dans le Haut ou le Bas-Canada, un délégué par trente membres inscrits sur son rôle, et dont chacun aura versé une souscription d’au moins deux piastres dans ses fonds pour l’année écoulée ; mais nul institut ou association n’aura droit d’envoyer plus de quinze délégués à l’un ou à l’autre des dits bureaux, […]19

Selon cet article, l’AAM étant dûment incorporée, étant une association consacrée aux arts et ayant plus de deux cents souscripteurs, elle aurait pu envoyer sept délégués au Conseil des arts et manufactures. Toutefois, créer ce lien l’aurait placée sous sa coupe. En effet, la section XXXI précise les obligations des associations membres du Conseil :

Tous les instituts d’artisans et sociétés artistiques qui reçoivent de l’aide du gouvernement seront placés sous la surveillance respective des chambres des arts et manufactures du Bas et du Haut-Canada […] ; et les dites chambres recevront du governement (sic) et remettront à chacun des instituts d’artisans et sociétés artistiques la part de deniers qui lui revient ; Et il sera loisible à chaque chambre de garder un dixième sur tous les octrois pour usage de « l’Association d’Exposition Provinciales » qu’elle versera entre les mains du trésorier d’icelle ; et aucun institut des artisans ou associations artistiques du Bas ou du Haut-Canada n’aura droit de recevoir de l’aide pécuniaire du gouvernement, si le dit institut ou association n’est pas constitué […] par un acte spécial d’incorporation, et si tel institut ou association n’a pas transmis aux chambres respectives des arts et manufactures du Bas et du Haut-Canada une copie conforme de son rapport annuel de l’année précédente […]20

L’AAM n’en deviendra jamais membre. À partir de 1879, son seul lien avec l’exposition provinciale se limitera à l’organisation d’expositions temporaires au même moment. Sa structure privée demeurera.

À l’occasion de la visite du Prince de Galles, le Conseil des arts et manufactures est responsable de l’exposition devant mettre en valeur les produits canadiens. Le 22 mars 1860, il invite les artistes, manufacturiers et artisans à présenter leurs plus belles productions21. À peu près au même moment, il accepte les plans conçus par John William Hopkins pour la construction du pavillon de l’exposition22. Ayant essuyé un refus, l’architecte John James Browne propose de confronter publiquement son dessin à celui d’Hopkins23. Cette critique permet au Conseil de préciser le projet :

The opinion was unanimous that this was the proper time for carrying out the desire long entertained by those connection with former exhibitions, of erecting a permanent building for exhibition purposes. If a site sufficiently near the centre of the city could be obtained, it would be suitable for all the future purposes of the Board, and afford accomodation for the museum, collection of models, school of design, etc., contemplated by them, whereas if placed at the outskirts of the city, it would necessarily only be in use once a year, or, perhaps, not so often24.

Dans le même souffle, il mentionne la participation de quatre architectes et qualifie désavantageusement la démarche publique de Browne. Les travaux pour construire le Palais de Cristal (« Crystal Palace ») au coin des rues Cathcart et Sainte-Catherine débutent peu après25. Devant le peu de soutien de la municipalité, le Conseil sollicite l’appui financier de la population en mai26. À la fin du mois de juin, il tente de s’entendre avec le comité des citoyens pour la réception du Prince de Galles27. Le litige touche l’échange des privilèges entre les souscripteurs des deux initiatives. Protégeant leurs avantages, les deux regroupements ne parviennent pas à un accord. En conséquence, l’entrée de l’exposition sera payante pour les membres du comité de citoyens.

Afin de participer à l’exposition, le Conseil fixe au 15 juillet la date limite pour l’envoi des soumissions28. Les objets soumis doivent avoir été produits au Canada29. La participation d’un important nombre de producteurs, industriels, artisans et associations est souhaitée :

Every article exhibited must be the produce, growth or manufacture of the provinces of Canada, West or East. […] In view In view of the great concourse of Visitors who will be present in Montreal on the occasion; and the opportunity thus afforded to exhibit the productions of the country to the best advantage, it is hoped that Artists, Manufacturers and Mechanics, and the proprietors of Mines, Quarries, Fisheries and Lumbering Establishments, will use every effort to make the Exhibition one creditable to the Province, and advantageous to themselves. The co-operation of all Mechanics’ Institutes, Societies of Art, Horticultural and Agricultural Societies, as well as Educational Establishments, is earnestly solicited, with the view of uniting all the available means of making this Exhibition as creditable to Canada as possible.

Les meilleures soumissions seront récompensées par des prix et des médailles. La liste des objets sollicités est surtout industrielle. Outre les matières premières, elle regroupe les principaux pans de l’industrie canadienne : chimie, textile, cuir, bois et machineries. De leur côté, les objets se rapprochant des beaux-arts se retrouvent dans deux sections distinctes. D’abord, la section dite des produits féminins (« Ladies Department ») inclut des peintures, aquarelles et dessins. S’y retrouvent également des herbiers, objets décoratifs, broderies, vêtements et compositions musicales.

Ensuite, une section est nommément consacrée aux beaux-arts (« Fine Arts »). Elle débute par les sculptures, peintures, dessins, daguerrotypes, ambrotypes et lithographies. S’y retrouvent également les dessins mécaniques, architecturaux et décoratifs ainsi que les modèles réduits. Les gravures et dorures sont mentionnées dans cette suite.

La liste se poursuit par tout appareil à fonction mathématique puis les horloges, montres et autres ouvrages de joaillerie. Enfin, elle se termine par les appareils utilisés par les dentistes et les instruments de musique. Au début du mois d’août, les dépôts sont nombreux30. Les dates limite pour les présenter au Conseil et les transporter au Palais de Cristal sont fixées au 15 et 23 août respectivement.

Le déroulement de la visite royale et les mondanités

L’inauguration du Palais de Cristal par le Prince de Galles est réalisée le 27 août 1860. Le programme est fixé quelques jours auparavant, car cette visite nécessite un décorum31. Il quitte sa résidence et emprunte les rues Sherbrooke, Drummond et Sainte-Catherine. Son entrée se fait par la rue University. Accompagné du gouverneur général et d’autres dignitaires, il passe sous la tente de la section horticole avant d’atteindre la salle de réception. Pour leur part, les membres du parlement canadien et du Conseil des arts et manufactures doivent emprunter l’entrée située sur la rue Cathcart. Enfin, les souscripteurs doivent pénétrer dans l’immeuble par la rue Sainte-Catherine. Tous les participants doivent être présents à neuf heures du matin et être vêtus d’habits de gala. Au moment où le Prince de Galles arrive dans la salle de réception, une chorale entamera l’hymne God Save the Queen. Assis sur un trône, il écoute les autorités provinciales décrire la nature des objets présentés dans le cadre de cette exposition. Le gouverneur général inscrit l’événement dans la lignée des expositions londoniennes de 1851 et 1855, y rappelle la participation canadienne et défend l’excellence de la production locale. Par la suite, une messe est prononcée par Francis J. Fulford. La procession royale parcourt ensuite les différentes ailes du bâtiment. Il termine sa visite par la galerie située au nord-est, traverse l’espace consacré aux beaux-arts. À cet endroit, le révérend Fulford offre une œuvre d’art au Prince de Galles au nom du Conseil. Il choisit un paysage de Charles Jones Way :

In the Fine Arts Department, his Lordship Bishop Fulford, President of the Art Association, said that the Council were desirous of presenting him with a Canadian picture from the collection, and praying His Royal Highness to select one. The Prince good naturedly selected Mr. Way’s water-colour painting, « The Prince’s Squadrion at Anchor at Gaspé Basin. »32

Par la suite, il descend les escaliers afin de retourner à l’espace de réception. À ce moment, il déclare l’exposition ouverte. L’association musicale de l’oratoire entame un chant religieux. À cette musique, le Prince de Galles quitte le Palais de Cristal. Lors de leur départ, les invités doivent emprunter les mêmes portes qu’à l’arrivée afin de permettre la fermeture de l’immeuble. Il n’ouvre au grand public qu’à midi.

Le rôle de l’AAM

La section consacrée aux beaux-arts est la dernière partie de l’exposition provinciale visitée par le Prince de Galles avant son départ. Elle est organisée par l’AAM. Voulue par le Conseil des arts et manufactures, elle permet de montrer que le Canada n’est pas qu’un réservoir de richesses naturelles et un pays industrieux.

Absent des procès-verbaux de l’AAM, le lien entre le Conseil et l’AAM demeure imprécis33. La présence du révérend Francis J. Fulford à la réception d’accueil en sol montréalais, à l’inauguration du Palais de Cristal et à la tête de l’association artistique peut avoir joué un rôle. Toutefois, c’est au nom du Conseil qu’il remettra une œuvre de Charles Jones Way à l’héritier de la couronne britannique. De la même manière, plusieurs des premiers souscripteurs de l’AAM occupent une fonction exécutive au sein du Conseil. Parmi ceux-ci, citons le secrétaire Brown Chamberlin et les membres Henry Bulmer et George A. Drummond34.

Il semble probable que les réseaux de sociabilité aient joué un rôle dans la création de ce lien. Toutefois, l’érection d’un hall permanent d’exposition et la création d’une association consacrée aux beaux-arts durant la même année forme l’élément le plus important rapprochant le Conseil et l’AAM. En 1864, le révérend Fulford mentionne l’importance d’un espace permanent d’exposition pour l’association :

About the time of the formation of the Association, the Great Exhibition Building, by St. Catherine Stret, was in course of erection in expectation of the arrival of the Prince of Wales ; and there was some encouragement held out to us, that arrangements might be made to let the Art Association have the use of a portion of it. It was, however, afterwards found that it would be impossible for us to avail ourselves of it, for any permanent occupancy. We had, nevertheless, an Exhibition of Pictures in the transept of the building, which was separated off for that purpose while the Prince of Wales was at Montreal. […] Disappointed in the expectations of obtaining the accomodation they had hoped for, the interest hitherto manifested by the members in the success of the Association seemed to cool down; and it consequence of the absence from Montreal of some of the principal promoters and other causes, the whole scheme was in danger of proving a failure35.

Ce souvenir doit être remis en contexte. Il est prononcé au moment où l’AAM propose une seconde exposition après une période de dormance. En conséquence, il met l’emphase sur des problèmes logistiques et exogènes afin de défendre l’intérêt de l’initiative. Un phénomène similaire se reproduira en 1878 après une seconde période de mise en veille. Par contre, il appuie l’idée selon laquelle les deux entités sont distinctes : l’AAM demeurera toujours indépendante du Conseil dans l’organisation de ses expositions.

L’exposition consacrée aux beaux-arts

Le catalogue permet d’identifier les objets exposés dans la section consacrée aux beaux-arts36. Elle est divisée en deux parties. L’une est composée d’envois individuels. Elle regroupe des photographies, ambrotypes, gravures, lithographies et autres objets associés à l’impression. Plusieurs objets décoratifs la complètent incluant des ensembles de thé et de café en argent, des vases et des bijoux. Sculptures sur bois, cadres, dorures, travaux d’ébénisterie, instruments de musique et médicaux et autres objets associés au savoir-faire technique la complètent. L’exposition comprend même une jambe artificielle. Quelques dessins s’y glissent également. Parmi les contributeurs, relevons les photographes William Notman et Thomas C. Doane, la bijouterie Savage & Lyman, l’architecte William Hodgson, ainsi que les sculpteurs Jean-Baptiste Côté et François-Xavier Berlinguet.

L’autre section est organisée sous la direction de l’AAM37. Plus de cent-vingt inscriptions sont recensées auxquelles s’ajoutent quelques œuvres sans numéros. La plupart d’entre elles sont des réalisations d’artistes canadiens parmi lesquels se trouvent William Nichol Cresswell, Frederick S. Barnjum, Charles Jones Way, Cornelius Krieghoff, Otto Reinhold Jacobi, William Raphael, Daniel Fowler, William Berczy et Théophile Hamel. Si la plupart des peintures et aquarelles représentent des scènes locales, ce dernier a également soumis la copie d’un tableau de Pierre Paul Rubens. Une nuance est introduite entre ces artistes et R. T. Fowler dont le statut amateur est clairement identifié. Les œuvres picturales réalisées par les femmes sont inscrites dans cette section plutôt que dans le département féminin.

Contrairement à l’esprit de l’exposition, toutes les productions artistiques ne sont pas locales. Certains personnes prêtent aussi des œuvres sans ancrage canadien. Ainsi, des gravures de William Hogarth, un paysage animé par une tempête par Henry John Boddington, une tête d’un cavalier par Peter Lely et une scène du Vermont par l’Américain William Mason Browne sont incluses dans cette section. Elles sont prêtées par des collectionneurs locaux. Certaines d’entre elles feront également leur apparition dans le cadre des premières « Loan Exhibitions » de l’AAM38, d’autres non39. La contribution respectant le moins les règlements du Conseil est celle du marchand d’art identifié par le patronyme « Harding »40. Le prêteur habite Boston, les artistes sont européens et les sujets ne représentent pas le Canada. Il contribue plusieurs œuvres d’artistes tels que Félix Ziem, Eugène Joseph Verboeckhoven et Alexandre Guillemin.

Un article du Montreal Witness décrit la section en mettant l’accent sur quelques œuvres41. À la fin de l’exposition, plusieurs artistes recevront des prix. Ils ne sont généralement pas attribués pour une œuvre précise, mais à une personne pour l’ensemble de sa contribution. Ainsi, des médailles d’argent sont remises à Charles John Way pour ses aquarelles, Cornelius Kreighoff pour ses scènes canadiennes, à Théophile Hamel pour ses portraits, à William Berczy pour ses peintures à l’huile et à Félix Morgan pour ses bustes et médaillons. Les œuvres non étrangères ne sont pas admissibles aux récompenses offertes par le Conseil des arts et manufactures.

Conclusion

À la lumière de la chronologie des événements, il paraît abusif d’affirmer que l’AAM a été créée dans le but d’organiser la section beaux-arts présentée à l’exposition provinciale au moment de la visite du Prince de Galles. Les calendriers de la visite royale, de la création de l’AAM, des célébrations et de l’exposition au Palais de cristal ne soutiennent pas cette hypothèse. Plutôt, l’AAM répond à une question sur la place des beaux-arts dans la société canadienne. La visite de l’héritier de la couronne britannique agit en catalyseur. Elle permet de définir le besoin d’une telle association.

En ce sens, les deux expositions organisées en 1860 doivent être traitées d’une manière différente. L’événement au Palais de Cristal partage de nombreuses caractéristiques associées au volet beaux-arts des expositions universelles dont le côté éphémère, le mariage entre les arts mécaniques et libéraux ainsi que l’aspect festif l’entourant. Le fait que l’AAM ne participe pas à d’autres expositions organisées par le Conseil des arts et manufactures la situe également dans le registre de l’événement ponctuel.

Pour sa part, la conversazione est la première de la suite de trente-et-une expositions assimilées aux « Loan Exhibitions ». L’unité de l’association se fait autour de sa mission éducative. En ce sens, l’ambition de l’AAM dépasse le cadre de la visite royale. Une fois l’enthousiasme passé, le défi de sa pérennité se pose.

1 « What are we to do in Honor of the Prince? », Montreal Herald and Daily Commerce, 11 avril 1860, [p. 2].

2 « One thing is certain : namely, that the time for consideration is short, and that we must be « up and doing, » […] », loc. cit.

3 L’éditorialiste fait probablement référence au marché Bonsecours érigé entre 1844 et 1848 par la Corporation de la Ville de Montréal. Voir Ville de Montréal, « Fiche d’un bâtiment. Marché Bonsecours », 2010, [en ligne] <http://www.vieux.montreal.qc.ca/inventaire/fiches/fiche_bat.php?sec=e&num=19> (page consultée le 3 octobre 2019).

4 Montreal Witness, édition bihebdomadaire, 12 mai 1860, p. 301.

5 « The Prince of Wales’ Reception », Montreal Herald and Daily Commerce, 16 mai 1860, [p. 2].

6 « Reception of His Royal Highness The Prince of Wales and the Inauguration of the Victoria Bridge. List of subscribers to the Citizens Reception Fund. », Montreal Herald and Daily Commerce, 29 mai 1860, [p. 2].

7 « Prince of Wales Reception Fund », Montreal Herald and Daily Commerce, 6 juin 1860, [p. 2].

8 « City Council Proceedings », Montreal Herald and Daily Commerce, 22 juin 1860, [p. 1].

9 « The Reception of the Prince of Wales – Report of the Sub-Committee », Montreal Herald and Daily commerce, 9 juin 1860, [p. 2].

10 « Proclamation », Montreal Herald and Daily Commerce, 22 août 1860, [p. 1].

11 « The Prince of Wales Visit to Montreal », Montreal Herald and Daily Commerce, 25 août 1860, [p. 2].

12 « The Reception of the Prince of Wales – Report of the Sub-Committee », Montreal Herald and Daily commerce, 9 juin 1860, [p. 2].

13 « Reception of H. R. H. The Prince of Wales », [publicité], Montreal Herald and Daily Commerce, 20 juin 1860, [p. 2].

14 La salle de danse à proprement parler possédera un diamètre de 215 pieds, soit environ 65 mètres. Voir « The Visit of His Royal Highness The Prince of Wales to America », Journal of Education for Lower Canada, décembre 1860, p. 183.

15 « Festivities in Honor of the Visit of H. R. H. The Prince of Wales to Montreal », Montreal Herald and Daily Commerce, 2 août 1860, [p. 2].

16 Le programme de la soirée est disponible dans le Montreal Herald and Daily Commerce, 23 août 1860, [p 2].

17 Henry James Morgan, The Tour of H. R. H. The Prince of Wales Through British America and the United States by a British Canadian, Montréal, Lovell, 1860, p. 91.

18 À moins d’indication contraire, les informations sur le Conseil des arts et manufactures citées dans ce paragraphe proviennent de Règlements du Conseil des Arts et Manufactures du Bas-Canada, Montréal, Lovell, 1858.

19 Journaux de l’Assemblée législative de la Province du Canada. Du 28 février au 19 mai 1860, inclusivement. Appendice (No. 2), Québec, Thompson, 1860.

20 Ibidem.

21 Publicité parue dans le Montreal Herald and Daily Commerce, 22 mars 1860, [p. 2].

22 Lettre à l’éditeur par John James Browne, Montreal Herald and Daily Commerce, 26 mars 1860, [p. 2].

23 Ib.

24 « Editorial correspondence of the « Montreal Herald » », Montreal Herald and Daily Commerce, 27 mars 1860, [p. 2].

25 « Home News », Montreal Witness édition bihebdomadaire, 18 avril 1860, p. 244.

26 « Terms of Subscription in Aid of the Building for the Exhibition of Arts and Industry », [annonce publique], Montreal Herald and Daily Commerce, 16 mai 1860, [p. 2].

27 Échange de correspondance parue dans le Montreal Herald and Daily Commerce, 30 juin 1860, [p. 2].

28 Publicité parue dans le Montreal Herald and Daily Commerce, 25 avril 1860, [p. 1].

29 À moins d’indication contraire, la source pour ce paragraphe est le règlement interne du Conseil des Arts et Manufactures. Voir Grand Exhibition of the Industrial Products of United Canada, Under the Auspices of the Board of Arts and Manufactures for Lower Canada, Montréal, Owler & Stevenson, 1860.

30 « Articles for the Exhibition are arriving very fast, and of such character as to leave no doubtof its out rivalling any industrial exhibition ever held in Canada. ». Voir « The Exhibition Building Tested », Montreal Witness, édition bihebdomadaire, 11 août 1860, p. 505.

31 À moins d’indication contraire, les informations de ce paragraphe proviennent de « Proposed Programme of Proceedings at the Ceremony of the Inauguration of the Exhibition Building », Montreal Witness, édition bihebdomadaire, 25 août 1860, p. 540-541 et Henry James Morgan, The Tour of H. R. H. The Prince of Wales Through British America and the United States by a British Canadian, Montréal, Lovell, 1860, p. 94-97.

32 Morgan, op. cit., p. 97.

33 Il n’existe aucune entrée sur cette exposition dans les procès-verbaux de l’AAM.

34 Grand Exhibition of the Industrial Products of United Caanda, Under the Auspices of the Board of Arts and Manufactures for Lower Canada, Montréal, Owler & Stevenson, 1860.

35 « Art Association of Montreal », Montreal Gazette, 12 février 1864, [p. 2].

36À moins d’indication contraire, toutes les informations sur le contenu de la section consacrée aux beaux-arts proviennent du catalogue. Voir Catalogue of Articles Shewn at the Provincial Exhibition, Held at Montreal, and Inaugurated by His Royal Highness The Prince of Wales, August, 1860, Montréal, Longmoore, 1860.

37 « This section was under the direction of the Art Association of Montreal. »

38 Par exemple, la peinture par Henry John Boddington est à rapprocher de The Storm exposée en 1864. Les deux œuvres sont prêtées par John Aitken. D’une manière similaire, l’oeuvre Mountain Scene, Vermont par William Mason Browne est prêtée par George A. Drummond en 1860. Elle peut être rapprochée de Scene in Vermont du même peintre et prêtée par le même collectionneur en 1864.

39 La tête d’un cavalier par Peter Lely est prêtée par le juge montréalais William Badgley. Il ne contribue aucune œuvre à des expositions de l’AAM. Il ne fait pas partie des premiers souscripteurs de l’association.

40 Identifié sous « Harding » et « Hardinge », il pourrait s’agir de l’artiste et marchand d’art Chester Harding. Il est rattaché à la ville de New York dans le catalogue montréalais. Toutefois, ses opérations étaient réalisées à partir de Boston. Voir The Frick Collection, « Harding, Chester » dans Center for the History of Collecting. Archives Directory for the History of Collecting in America, [en ligne], <https://research.frick.org/directory/detail/2506> (page consultée le 4 octobre 2019).

41 Les photographies peintes du studio de William Notman, les scènes de genre canadiennes de Cornelius Krieghoff et les aquarelles de Charles Jones Way sont citées favorablement. Aussi, deux toiles sont nommées. La première est The Sealing of the Letter. Dans le catalogue, deux œuvres portent ce titre, l’une par Paul Seignac prêtée par Charles Harding, l’autre par Brughae[?] prêtée par le capitaine Robert Taylor Laynes. Ce dernier participera à la « Loan Exhibition » de 1864 en contribuant une œuvre au même titre, mais attribuée cette fois à H. Haseler. La seconde est Luther leading his Bride, Catharine Bore, from the Nunnery. Il s’agit probablement de Marriage of Martin Luther par Abraham van Pelt prêtée par Charles Harding. Voir « The Provincial Exhibition », Montreal Witness, édition bihebdomadaire, 1 septembre 1860, p. 560.