Entre 2011 et 2019, j’ai travaillé sur un doctorat interuniversitaire en histoire de l’art. Je place ici le brouillon de ma thèse. Vous pouvez consulter le plan complet du projet et une description de mon parcours. N’oubliez pas qu’il s’agit d’un brouillon.
3.2.1 Les débuts de l’AAM et la visite du Prince de Galles
Une idée tenace dans l’historiographie canadienne consiste à affirmer que l’AAM a été créée afin d’accueillir le Prince de Galles lors de sa visite canadienne en 18601. Ce point doit être clarifié afin de comprendre les circonstances ayant mené à la constitution de l’association artistique. Ainsi, il convient de rappeler l’état des discussions autour de cette visite.
L’idée d’inviter la couronne britannique à visiter le Canada trouve son origine en 18582. Un certain Norris aurait envoyé une missive à titre personnel à la Reine Victoria afin de l’inviter à inaugurer le Palais de Cristal de Toronto. Un mot de refus est retourné par le secrétaire royal Edward Bulwes Lytton. Pour certains, il était inconvenant de s’adresser de cette manière à la souveraine sans passer par le gouverneur général de la colonie.
Toutefois, l’idée semble avoir porté fruit. Le 14 mai 1859, lors de sa dernière session, le Parlement canadien conclut que l’ouverture prochaine du pont Victoria constitue une bonne occasion pour inviter officiellement la reine Victoria au Canada. L’enjeu consiste à montrer les progrès du dominion tout en solidifiant la loyauté et l’attachement de la population à l’égard de la couronne.
Le speaker sir Henry Smith est chargé de présenter cette demande à Londres. Le 30 janvier 1860, le gouverneur général du Canada sir Edmund Walker Head reçoit une réponse positive de la capitale anglaise. La royauté se dit impressionnée par l’initiative, touchée, sans toutefois accéder à la demande d’un déplacement en Amérique du Nord.
Malgré tout, la lettre informe que Son Altesse Royale le Prince de Galles sera présent pour la cérémonie inaugurale du pont Victoria lorsque la date sera fixée. De retour au Canada, ce n’est que le 28 février que le gouverneur général du Canada fait une lecture publique de cette lettre devant le parlement3.
Terre-Neuve, l’île du Prince Edouard, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick auraient aussitôt envoyé une demande afin d’obtenir une visite royale. D’une manière similaire, le Président américain James Buchanan signe une invitation officielle le 4 juin 1860 à laquelle le Palais de Buckingham répond par l’affirmative le 22 juin.
À la fin de ce tourbillon d’invitations, le trajet suivi entre le 26 juillet et 20 octobre par le Prince de Galles Albert Edward s’arrête à Terre-Neuve, au Nouveau-Brunswick, dans la Province du Canada et dans plusieurs villes du centre et de l’est des États-Unis dont Détroit, Chicago, Saint-Louis, Washington, Philadelphie, New York et Boston.
À cette chronologie, il convient de confronter celle de l’AAM. Le 11 janvier 1860 est organisée la première réunion devant mener à la constitution de l’association4. Il y est déclaré que la population montréalaise devrait être sondée quant à leur intérêt pour ce projet. Organisée le 26 janvier, la seconde rencontre arrive à la conclusion qu’il existe un soutien suffisant pour une association artistique5. Or, à ce moment, la réponse du palais de Buckingham Palace à l’invitation du dominion n’est pas connue.
À ce calendrier s’ajoute celui lié directement à l’exposition accueillant la visite du Prince de Galles. En effet, des activités accompagnent chaque arrêt de l’héritier de la couronne britannique. Réceptions, revues militaires et visites de lieux de culte sont réalisés de Terre-Neuve au Haut-Canada6. À Montréal s’y ajoutent l’inauguration du pont Victoria, des régates autochtones et l’ouverture d’une exposition agricole, industrielle et artistique au palais de Cristal7.
La participation de l’AAM à cette exposition a souvent permis de conclure que l’association avait été créée dans ce dessein. Il s’agit d’un raccourci. En effet, la somme de vingt mille dollars nécessaire à son organisation n’est octroyée qu’à la fin du mois d’avril8. Or, à ce moment, la mission de l’association est déjà fixée, ses règlements internes sont adoptés et sa première exposition a eu lieu9.
1 Citons Dennis Reid, Our Own Country Canada, Ottawa, National Gallery of Canada, p. 284.
2 Henry James Morgan, The Tour of H. R. H. The Prince of Wales Through British America and the United States by a British Canadian, Montréal, Lovell, 1860. À moins d’indications contraires, les informations de cette section proviennent de cette source qui compile les documents publiés à cette occasion.
3 La Minerve, 1er mars 1860 p.2.
4 Records of the Art Association of Montreal, 11 janvier 1860, document conservé au service des archives du Musée des beaux-arts de Montréal.
5 Records of the Art Association of Montreal, 26 janvier 1860, document conservé au service des archives du Musée des beaux-arts de Montréal.
6 Une description complète de ces activités se retrouve dans Eusèbe Sénécal, Relation du voyage de son altesse royale le Prince de Galles en Amérique, Montréal, publié à compte d’auteur, 1860.
7 La visite détaillée du Prince de Galles est décrite dans Morgan, op. cit., p. 90-127.
8 Il s’agit de la résolution 127 de l’Assemblée législative de la Province du Canada. Voir les Journaux de l’Assemblée législative de la Province du Canada, du 28 février au 19 mai 1860, [inclusivement], vol. XVIII, Québec, Assemblée législative, p. 229, 252 et 261.
9 La mission et les règlements internes de l’association sont adoptés le 11 février 1860; sa première exposition se déroule le 10 mai 1860. Voir Records of the Art Association of Montreal, 11 février 1860, document conservé au service des archives du Musée des beaux-arts de Montréal. Pour l’exposition, voir la section consacrée à cet événement dans ce document.