Entre 2011 et 2019, j’ai travaillé sur un doctorat interuniversitaire en histoire de l’art. Je place ici le brouillon de ma thèse. Vous pouvez consulter le plan complet du projet et une description de mon parcours. N’oubliez pas qu’il s’agit d’un brouillon.
1.2 Bilan historiographique
Ces expositions ont intéressé les historiens et les historiennes de l’art. Notre bilan historiographique identifie trois axes d’analyse disciplinaire privilégiés, soit les histoires des collectionneurs, des musées et des expositions. Dans le premier axe, les « Loan Exhibitions » servent surtout à cerner le goût et l’état des collections à partir des objets recensés. Dans le second axe, l’AAM est rapidement assimilée à sa fonction muséale. Lorsqu’elles sont évoquées, ces expositions sont réduites à un réservoir pictural utilisé en l’absence d’une collection permanente. Le dernier axe permet de relever des expositions possédant des caractéristiques similaires à celles que nous avons identifiées. Toutefois, aucun corpus étudié ne les possède toutes. Ainsi, la périodicité et l’aspect collectif semblent spécifique à la situation montréalaise.
L’axe des collectionneurs canadiens
Les expositions à l’étude ont surtout été comprises par le biais des études consacrées aux collectionneurs. Ces travaux forment l’ensemble le plus important des écrits les mentionnant. Dans ces textes, la recherche a surtout tenté de mettre en valeur, d’identifier et de regrouper les œuvres d’art selon de grandes lignes directrices. Le texte fondateur de cette approche est European Paintings in Canadian Collections par Robert H. Hubbard (1956, 1962)1. Dans cet ouvrage publié en deux tomes, le conservateur en chef du Musée des beaux-arts du Canada recense les œuvres européennes présentes à la fois dans les musées et les collections privées du pays. Pour la période qui nous concerne, les textes introductifs mettent l’accent sur quelques personnalités (sir William C. van Horne, sir George A. Drummond, etc.) et la création des institutions (AAM, Académie royale des arts du Canada, Musée des beaux-arts du Canada, etc.). La question de l’exposition n’est pas abordée en tant que telle, bien que la fiche descriptive de chaque œuvre contienne des indications en ce sens. Dans sa suite, les ouvrages subséquents ont adopté une approche similaire2. Les travaux que Janet M. Brooke consacre aux collectionneurs montréalais s’inscrivent également dans cette tradition. Dans Études et petits formats du 19e siècle. Collection du Musée des beaux-arts de Montréal (1980)3, l’historienne d’art offre une introduction historique à ces œuvres avant de s’attarder à la présentation des tableaux conservés dans l’institution montréalaise. Surtout, dans le catalogue accompagnant l’exposition Le Goût de l’art. Les collectionneurs montréalais. 1880-1920. (1989)4, elle pousse plus loin cette approche analytique. Son introduction situe le milieu montréalais de l’époque tout en traçant le profil de quelques collectionneurs d’envergure. Ce document se distingue des précédents par deux aspects principaux. D’abord, il est construit autour des artistes et des œuvres exposées. Les notes descriptives accompagnant les reproductions permettent à l’auteure de dresser un bilan de l’intérêt que les Montréalais leurs accordent. Ensuite, un important inventaire conclut ce livre. Il a été majoritairement constitué à partir des catalogues des expositions étudiées dans cette thèse. En ce sens, il permet des recoupements avec notre propre travail. Ceci étant dit, les expositions ne constituent pas l’objet de la recherche. Pourtant, l’introduction mentionne à la fois leur rôle fondateur dans les activités de l’AAM et leur filiation avec une certaine tradition britannique :
À partir des années 1880, l’Art Association avait présenté régulièrement deux expositions annuelles : un Salon du printemps consacré à la peinture et à la sculpture canadiennes contemporaines, et, pendant la saison automne-hiver, une série d’expositions d’art européen ancien et moderne constituées de prêts, les « Loan Exhibitions ». Ces deux manifestations annuelles s’inspiraient d’une formule pratiquée en Grande-Bretagne par des institutions telles que le South Kensington Museum (aujourd’hui le Victoria and Albert Museum) et la Royal Academy de Londres).5
Cette manière de mentionner cet objet de recherche sans jamais s’y attarder constitue une partie importante de la problématique. Outre le travail de Janet M. Brooke, une thèse de doctorat et deux mémoires de maîtrise doivent être signalés dans le prolongement de cette approche centrée sur les collectionneurs. Dans Imperialist Intent – Colonial Response. The Art Collection and Cultural Milieu of Lord Strathcona in Nineteenth-Century Montreal (2002)6, Alexandra Pierce analyse cette collection dans une perspective postcoloniale. Dans Renaissance Art in Montreal : The City’s Early Collectors and Their Gifts to the Art Association of Montreal and the Montreal Museum of Fine Arts (2010)7, Silvia Sorbelli reprend une approche similaire à celle employée par Janet M. Brooke tout en se concentrant sur une période historique précise. Dans Ut pictura poesis : Edward Black Greenshields’ Collection of Hague School Paintings (2008)8, Alexa M. Buis s’attarde à la vogue de l’École de La Haye auprès des collectionneurs montréalais9. Ces textes, tout comme les autres ouvrages recensés, ont le grand mérite de préciser la figure du collectionneur dans le champ artistique montréalais durant la seconde moitié du XIXe siècle et le début du XXe siècle. Toutefois, et bien qu’elles relèvent à l’occasion leur présence, toutes ces recherches considèrent les expositions comme une source de connaissances et non un objet d’étude en soit. Dans cette perspective, l’objectif consiste à dépouiller les informations fournies par les catalogues afin de mieux connaître les collectionneurs et leurs goûts.
L’axe de l’AAM
Puisque la majorité des personnes associées à notre corpus sont regroupées au sein de l’AAM, il est permis de se demander si l’historiographie qui traite de cette organisation pourrait fournir des pistes d’analyse enrichissantes. En d’autres termes, si ces expositions n’ont pas attiré l’attention dans les études consacrées aux collectionneurs, est-ce également le cas dans la littérature scientifique s’attardant aux associations artistiques et, par extension, aux musées ? Le rapprochement que nous signalons entre ces deux formes d’organisation suit la tradition historiographique canadienne qui inscrit le Musée des beaux-arts de Montréal dans le prolongement immédiat de l’AAM10. La littérature issue de l’institution est explicite à cet égard : « Ainsi commence l’histoire du Musée des beaux-arts de Montréal, né sous le nom d’Art Association of Montreal, dont le président-fondateur est le chanoine Francis J. Fulford, premier évêque anglican de Montréal.11 » Dans cette perspective, ces expositions ne constituent qu’un moment dans le préambule d’un musée des beaux-arts12.
L’axe des expositions canadiennes
À l’image des approches centrées sur les collectionneurs et celles s’intéressant à l’AAM, l’historiographie consacrée aux expositions canadiennes analyse peu le phénomène étudié par cette thèse. Pour la période concernée et dans le contexte montréalais, ce sont des répertoires13 et quelques études de cas14 qui ont alimenté la réflexion.
1 Robert H. Hubbard, European Paintings in Canadian Collections. Earlier Schools, Toronto, Oxford University Press, 1956. Voir également le second tome consacré à la peinture des dix-neuf et vingtième siècles : Robert H. Hubbard, European Paintings in Canada Collections. II. Modern Schools, Toronto, Oxford University Press, 1962.
2 Citons Evan H Turner, Canada Collects : European Paintings. Le Canada collectionne : Peinture européenne. 1860-1960, Montréal, Musée des beaux-arts de Montréal, 1960 ; Denys Sutton, « Editorial. A Tradition of Collecting », Apollo, vol. CIII, no. 171 (mai 1976), p. 346-349 ; William R. Johnston, « Sylvan Vistas and Other Nineteenth-Century Paintings », Apollo, vol. CIII, no. 171 (mai 1976), p. 418-413 ; François-Marc Gagnon, John Bland et Elizabeth Collard, La fin d’une époque : Montréal 1880-1914. The End of an Era : Montreal 1880-1914, Montréal, Musée McCord, 1977.
3 Janet M. Brooke, Études et petits formats du 19e siècle. Collection du Musée des beaux-arts de Montréal. 19th Century Small Paintings and Oil Sketches. The Montreal Museum of Fine Arts Collection, Montréal, Musée des beaux-arts de Montréal, 1980.
4 Janet M. Brooke, Le goût de l’art. Les collectionneurs montréalais. 1880-1920, Montréal, Musée des beaux-arts de Montréal, 1989.
5 Ibid., p. 11.
6 Alexandria Pierce, « Imperialist Intent, Colonial Response. The Art Collection and Cultural Milieu of Lord Strathcona in Nineteenth-Century Montreal », thèse de doctorat, Montréal, Université McGill, août 2002.
7 Silvia Sorbelli, « Renaissance Art in Montreal : The City’s Early Collectors and Their Gifts to the Art Association of Montreal and the Montreal Museum of Fine Arts », mémoire de maîtrise, Montréal, Université Concordia, septembre 2010.
8 Alexa M. Buis, « Ut pictura poesis : Edward Black Greenshields’ Collection of Hague School Paintings », mémoire de maîtrise, Montréal, Université Concordia, août 2008.
9 L’intérêt des Montréalais pour l’École de La Haye est mentionné dans plusieurs études, dont Marta H. Hurdalek, The Hague School. Collecting in Canada at the Turn of the Century, Toronto, Musée des beaux-arts de l’Ontario, 1983 ; John Sillevis, Ronald de Leeuw et Charles Dumas, L’École de La Haye. Les maîtres hollandais du 19eme siècle, Paris, Réunion des musées nationaux, 1983 ; John Sillevis et Anne Tabak, Le livre de l’École de La Haye, Zwolle, Waanders Uitgevers, 2004.
10 Parmi les textes adoptant cette approche, citons Georges-Hébert Germain, Un musée dans la ville. Une histoire du Musée des beaux-arts de Montréal, Montréal, Musée des beaux-arts de Montréal, 2007 ; Jean Trudel, « Aux origines du Musée des beaux-arts de Montréal. La fondation de l’Art Association of Montreal en 1860 », Annales d’histoire de l’art canadien, vol. XV, no. 1 (1992), p. 31-60 ; Cyril Simard, Patrimoine muséologique au Québec. Repères chronologiques. Québec, Commission des biens culturels, 1992 ; Jean Trudel, « Le développement des musées au Québec : entre les sciences et les arts », Musées, vol. 14, no. 3 (sept. 1992), p. 6-10 ; Jean Trudel, « The Montreal Society of Artists. Une galerie d’art contemporain à Montréal en 1847 », Annales d’histoire de l’art canadien, no. XIII, vol. 1 (1990), p. 61-87 ; Rosalind M. Pepall, Construction d’un musée des beaux-arts. Montréal. 1912, Montréal, Musée des beaux-arts de Montréal, 1986 ; Pierre Leduc, « L’origine et le développement de l’Art Association de Montréal (1860-1912) », mémoire de maîtrise, Montréal, Université de Montréal, 1963.
11 Hélène Lamarche, « Le Musée des beaux-arts de Montréal », dans Musée des beaux-arts de Montréal, Guide, Montréal, Musée des beaux-arts de Montréal, 2007, p. 11.
12 Georges-Hébert Germain, op. cit., p. 25.
13 Evelyn de R. McMann, Montreal Museum of Fine Arts, formerly Art Association of Montreal, Spring Exhibitions. 1880-1970, Toronto, University of Toronto Press, 1988 ; Evelyn de R. McMann, Royal Canadian Academy of Art. Académie royale des arts du Canada. Exhibitions and Members. 1880-1979, Toronto, University of Toronto Press, 1981.
14 Citons Lorne Huston, « The 1913 Spring Exhibition of the Art Association of Montreal. Anatomy of a Public Debate », Annales d’histoire de l’art canadien, vol. 24, no. 1 (2013), p. 13-55 ; Marc Gauthier, « Les Salons parisiens au Canada : L’Exposition d’art français de Montréal en 1909 », mémoire de maîtrise, Québec, Université Laval, 2011 ; Marc Gauthier, « L’exposition Some French Impressionists vue par John Lyman », dans Michèle Grandbois (dir.), Morrice et Lyman en compagnie de Matisse, Québec et Montréal, Musée national des beaux-arts du Québec et Éditions de l’Homme, 2014 ; Sarah Dupré, « Imagining the Art of French Canada. The 1929 Exhibition of Canadian Handicraft », mémoire de maîtrise, Kingston, Queen’s University, 2004.